The CWGC Experience, dans les coulisses des cimetières du Commonwealth

En ce mois de novembre, c’est notre chère Audrey du blog Arpenter le chemin qui prend les rênes de votre rendez-vous interblogueur.se préféré #EnFranceAussi avec le thème « Cimetière ». Un thème de saison, qui nous parle beaucoup puisque nous partageons avec Audrey la passion du voyage gothique et que nous aimons arpenter les cimetières, qu’il s’agisse du célèbre Père Lachaise, de notre petit cimetière communal à Romainville ou encore du cimetière marin de Sète.

Evidemment, dans nos périples mémoriels sur les traces de la Première Guerre mondiale, nous avons vu beaucoup de cimetières (vraiment beaucoup). Ces cimetières sont différents, d’abord parce qu’ils ont une forte dimension historique, mais aussi parce qu’ils mettent en scène la mémoire que les différents pays ont souhaité préserver pour ces événements et pour leurs morts. Ainsi, on peut distinguer au premier coup d’œil un cimetière français d’un cimetière allemand ou britannique. Cela passe par le choix des tombes ou par le choix de la végétation.

Au cimetière militaire d’Etaples, entretenu par la CWGC

Aujourd’hui, nous vous faisons découvrir The CWGC Experience, un centre d’interprétation situé près d’Arras dans le Pas-de-Calais. Il a ouvert en 2019 et son but est de mettre en valeur les métiers et les personnes qui font vivre les cimetières du Commonwealth sur notre territoire. On a beaucoup aimé cette visite, qui est très complémentaire des lieux de mémoire habituels et qui donne justement des clés de lecture passionnantes sur ces cimetières pas comme les autres.

Il faut peut-être expliquer d’abord cet acronyme de CWGC, alias Commonwealth War Graves Commission. C’est un organisme géré et financé par six pays (Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud et Inde) qui s’occupe d’entretenir les sépultures de tous les combattant.e.s de ces pays mort.e.s pendant les deux guerres mondiales.

Pour vous donner quelques chiffres, cela représente 1,7 million de personnes inhumées dans 23 000 sites à travers le monde. Il y a des cimetières de la CWGC partout dans le monde, en Irak, en Thaïlande ou au Mozambique, par exemple. Le plus grand d’entre eux est celui de Tyne Cot, en Belgique. Et bien sûr, il y en a de nombreux en France, où reposent plus de 575 000 combattant.e.s du Commonwealth. Ce chiffre est vraiment énorme et montre bien que notre histoire et celle de ces pays sont étroitement imbriquées. C’est d’ailleurs la grande carte du monde qui accueille le visiteur à l’entrée de The CWGC Experience qui permet de réaliser cela.

La CWGC a des bureaux et des ateliers depuis longtemps sur le site de Beaurains, qui est désormais ouvert au public. Après un rappel historique de la naissance de la CWGC dans les années suivant la Première Guerre mondiale, on entre dans une grande cour où des baies vitrées sont ouvertes sur les différents ateliers : la taille de pierre, la menuiserie, la forge, l’atelier de mécanique ou encore la signalétique. Les artisan.e.s sont au travail et saluent volontiers le visiteur. Des vidéos et des panneaux explicatifs complètent le dispositif.

Tout est très bien expliqué et met en valeur le travail de celles et ceux qui assurent la mission première de la CWGC : faire en sorte qu’aucun.e de ces mort.e.s ne soit oublié.e. La CWGC s’engage à honorer cette mémoire à perpétuité. Cela signifie que si une stèle est abimée, il faut la nettoyer, la regraver ou éventuellement la remplacer. Et en effet, on ne voit jamais de tombes à l’abandon dans ces cimetières. Cette notion de perpétuité est vraiment forte et émouvante.

Si vous êtes déjà allé.e dans un cimetière du Commonwealth, vous aurez forcément remarqué l’attention qui est portée à la nature et aux fleurs. L’intention des concepteurs de ces lieux, qui se sont notamment inspirés du travail de l’horticultrice et paysagiste anglaise Gertrude Jekyll, était de reproduire l’esprit du jardin anglais. Où que vous soyez dans le monde, si vous entrez dans l’un de ces cimetières, vous vous sentirez un peu en Angleterre.

Je suppose que l’idée est de créer un environnement familier pour les défunts et pour les familles. A toutes les saisons, les pelouses sont soigneusement entretenues et les massifs de fleurs bordent les stèles. Il en faut, des jardinier.e.s pour entretenir cela ! La CWGC est d’ailleurs l’une des principales organisations horticoles dans le monde, et la première en France. Il y a même des outils horticoles spécifiques qui ont été créés pour l’entretien de ces cimetières.

Au cimetière militaire d’Etaples, entretenu par la CWGC

C’est vraiment intéressant de voir des échantillons des matériaux qui sont utilisés pour faire les stèles et de comprendre qu’aucun détail n’est laissé au hasard. La police d’écriture, par exemple, a été choisie pour être visible à deux mètres de distance. Les stèles ont le haut arrondi pour que la pluie s’écoule par le côté et non sur le devant. Les portails, les bancs et les boites à registre font aussi l’objet d’une grande attention. Et tous les panneaux signalétiques de la CWGC, ces panneaux sur fond vert qui ponctuent notamment la campagne de la Somme ou de la Flandre belge pour indiquer les cimetières, sont fabriqués ici à Beaurains.

Il y a une petite salle particulièrement marquante qui évoque le travail anthropologique que réalise la CWGC. On arrive ici dans une évocation plus crue de la mort, car le travail d’identification qui a commencé juste après la Première Guerre mondiale n’est pas encore achevé. En effet, on retrouve chaque année de nouveaux ossements liés aux deux conflits mondiaux. Ça peut être dans le champ d’un agriculteur ou pendant des travaux. De nombreux restes humains ont par exemple été trouvés récemment à l’occasion de la construction d’un nouvel hôpital près de Lens.

Dans ces circonstances, les anthropologues de la CWGC sont sollicités pour identifier les corps, en étudiant notamment les objets qui ont été retrouvés à proximité et les registres de déplacement des troupes. Ces enquêtes n’aboutissent pas toujours, mais lorsqu’un corps est identifié, la famille est contactée et une inhumation a lieu. On peut imaginer l’émotion des familles, qui souvent ne se doutaient de rien, quand elles assistent aux cérémonies.

Les nouvelles sépultures sont installées dans les cimetières existants ou, si besoin, des extensions sont construites. Les chiffres sur la grande carte du monde à l’entrée de la CWGC Experience sont actualisés régulièrement. On estime qu’il resterait 100 000 corps non inhumés et non identifiés dans les Hauts-de-France suite aux deux guerres mondiales. Des fantômes errants, qui attendent de reposer en paix.

Même si c’est dur de penser à tout cela, ce travail indispensable mérite d’être mis en valeur. Il touche à la dignité de l’être humain, à ce droit fondamental d’avoir une sépulture, si possible avec son nom dessus.

Casques, boutons ou chaussures sont examinés pour aider à l’identification des corps.

A plusieurs occasions dans l’année, il est possible de rencontrer les artisan.e.s qui travaillent pour la CWGC, par exemple pour les Journées du patrimoine ou le 11 Novembre. Ils partageront avec vous leur passion pour leur métier. Certain.e.s travaillent pour la CWGC depuis 20 ou 25 ans tandis que d’autres commencent leur apprentissage. La transmission des compétences est un enjeu essentiel dans les années à venir.

A noter que vous retrouvez des interviews des personnels de la CWGC dans l’exposition « Mémoires » qui se tient en ce moment à l’Historial de Péronne, dans la Somme (où sont aussi exposées quelques unes de nos photos au Vest Pocket, ce qui vous fait donc deux bonnes raisons d’y aller ^^).

The CWGC Experience se visite gratuitement avec un audioguide. C’est une visite que l’on vous conseille vraiment, car elle donne un autre regard sur les site de mémoire. Vous pouvez combiner cette visite avec la carrière Wellington et continuer sur la Véloroute de la Mémoire jusqu’à Amiens, par exemple, ou bien enchainer avec Vimy et Notre-Dame-de-Lorette. Nous sommes sûres en tout cas que ce site atypique trouvera sa place dans les itinéraires des personnes qui visitent la région !

Quelques jours après cette visite, nous sommes allées au cimetière d’Etaples, qui est le plus grand cimetière du Commonwealth en France. Forcément, nous avons prêté une plus grande attention à tous les petits détails et nous avons eu une pensée pour celles et ceux qui travaillent chaque jour à rendre ces endroits propices au recueillement.

Un grand merci à Lucie et à ses collègues pour leur accueil chaleureux à The CWGC Experience et pour la visite qui nous a beaucoup plu !

Pour plus d’histoires de cimetières, suivez le hashtag #EnFranceAussi sur les réseaux sociaux.


12 réflexions sur “The CWGC Experience, dans les coulisses des cimetières du Commonwealth

  1. Bonjour Paule-Elise et Hélène,
    Un fort beau texte qui, dans le même temps rend hommage au travail que est effectué par les personnels et horticulteurs de la CWGC. Il y a quelques années j’avais rédigé l’historique du Maroc British Cemetery à Grenay (Pas-de-Calais) et récemment, une chronique mémorielle sur le travail de mémoire réalisé par la CWGC. J’espère, au printemps prochain, remonter sur mon vélo et faire à nouveau ces itinéraires de mémoire qui me manquent terriblement. Je vous envoie le texte par courriel. Amicalement et encore bravo pour ce travail fort bien documenté.

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  2. Une visite passionnante ! Les cimetières font tellement partie du paysage qu’on se demande rarement qui les entretient, même si a posteriori, c’est évident qu’il y a une armada de jardiniers pour veiller au grain. Je suis très curieuse des différences entre les différents cimetières nationaux, à quoi reconnais-tu un cimetière allemand ou belge ou autre ?

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    1. Pour ce type de cimetières où tout est très codifié, tu reconnaitras un cimetière militaire allemand à ses croix noires et à ses chênes. Les cimetières français, eux, ont des croix blanches et généralement peu de végétation, ce qui les rend plutôt austères. A noter que les soldats juifs et les soldats coloniaux ont un modèle de tombe spécifique.
      Merci à toi d’avoir lancé ce thème !

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    1. Oui d’ailleurs les lieux de mémoire de la Somme sont essentiellement visités par un public britannique et du Commonwealth. C’est un défi dans la période post Covid d’intéresser le public français à ces lieux…

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  3. Très bel éclairage sur ce travail de l’ombre. Je n’avais jamais entendu parler de ce centre d’interprétation et je dois avouer que l’article me donne grandement envie d’aller le découvrir (si tant est qu’il est accessible sans voiture). Merci pour cette visite passionnante au coeur du tourisme de mémoire.

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