Retour au Chemin des Dames

Un dimanche, sept heures du matin, fin novembre, il fait encore nuit et le froid est vif. En temps normal, on serait blotties sous la couette. Mais aujourd’hui on a rendez-vous avec une belle équipe à Soissons pour vadrouiller sur le Chemin des Dames. Alors c’est parti. On en profite pour prendre le van, qui n’a pas roulé depuis deux mois. A cette heure-ci de la journée, Ruby ne comprend pas grand-chose, fidèle à elle-même. On a embarqué notre ami Anthony, autre passionné d’histoire et de photo (et qui, comme Ruby, ne comprend pas grand-chose non plus d’ailleurs).

 

 

Sur la route, on voit le soleil se lever, une bulle rouge sur l’horizon des champs plats et gelés. Le Chemin des Dames, on y a déjà été une fois. C’était notre deuxième trip Première Guerre, et les premiers tests qu’on a faits au Vest Pocket, vous savez, cet appareil photo fabriqué en 1913 et qui a connu un immense succès à l’époque. (Pour rappel, le test avait lamentablement échoué). Alors je suis contente que ce retour soit placé sous les auspices de ce petit appareil, que nous sommes désormais une multitude à utiliser. Enfin, trois personnes.

 

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Car entre temps, nous avons eu la chance de rencontrer Karine et Frédéric du service Patrimoine de la Ville de Soissons, qui ont vu nos expérimentations sur le blog et nous ont contactées puisqu’eux aussi ont eu la même idée ! Bref, les grands esprits se rencontrent, tout ça. Et on s’est dit qu’on ferait bien une journée de prise de vue au Vest Pocket tous ensemble, dans la joie et la bonne humeur. Tout ça nous amène ce dimanche de novembre à prendre des forces et faire connaissance autour d’un brunch généreux dans leurs bureaux à Soissons. Il y a aussi Jean-François, le mari de Karine, et Thierry, tous deux spécialistes Première Guerre et fins connaisseurs de l’histoire locale. Et ça change tout, quand on (re)découvre un endroit avec des gens aussi passionnés.

 

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La visite la plus marquante de la journée a certainement été celle d’une des innombrables cavernes creusées sous le plateau du Chemin des Dames. A l’origine, elles servaient de carrières dont la pierre était utilisée pour bâtir de beaux immeubles parisiens. Ensuite pendant la Première Guerre, les soldats les ont utilisées comme abris, lieux de cantonnement, ou encore infirmeries et comme nous le verrons, chapelle. Des lieux de vie, comme nous en avions vus l’hiver dernier dans l’Oise aux carrières de Montigny.

 

 

L’entrée se cache dans une de ces jeunes forêts qu’on a replantées après le conflit et où les plus vieux arbres n’excèdent pas 90 ans. Le sol est boueux, on marche sur des couches épaisses de feuilles mortes. Notre guide dans la caverne, âgé de soixante-dix ans et des brouettes, est un enfant du pays. Il a grandi et toujours vécu ici. Sa famille a dû quitter le village pendant la Première Guerre, forcée d’évacuer. Lors des combats, le village a été détruit à 90 %. Lentement, dans les années d’entre-deux-guerres, il a été reconstruit.

 

 

Le grand-père de notre guide a combattu en 14-18. Un jour, il s’est retrouvé cantonné non loin de chez lui. Il a demandé à ses supérieurs de passer voir sa maison, mais ceux-ci ont refusé. Ça me rappelle cette histoire terrible dans Le Feu de Barbusse, où un soldat retourne chez lui en catimini en zone occupée près de Lens et où il voit sa maison occupée par l’ennemi et sa femme rire avec des soldats allemands. Parfois, il valait sans doute mieux ne pas revoir son chez-soi. Comme beaucoup d’hommes de sa génération, le grand-père de notre guide n’a de toute façon presque jamais parlé de ce qu’il avait vécu pendant la Grande Guerre.

 

 

La caverne est un endroit incroyable. Nous sommes là avec nos lampes de poche, comme des gamins qui rêvaient d’être archéologues, à repérer les traces de ces hommes allemands puis américains qui ont passé ici quelques jours ou semaines de leur vie. Notre guide nous montre les inscriptions qu’ils ont laissées, des noms bien souvent, avec des dates et des lieux. De temps en temps, on se trouve face à des genres de bas-reliefs figurant une femme, un général, un Indien, un bateau, un drapeau, un chien. Ces traces cohabitent avec des graffitis plus récents mais aussi avec les témoignages des anciens carriers. Ici et là, des blocs entiers ont été enlevés, car il faut savoir que ces sculptures attirent les convoitises et qu’il existe un véritable marché de collectionneurs de ce type de traces.

 

 

L’endroit le plus émouvant de la caverne est sans conteste la petite chapelle, où l’on peut voir des dessins et reliefs sculptés inspirés d’épisodes bibliques. Le style est simple, parfois naïf, mais d’une belle exécution. On sent tout l’espoir et toute la ferveur que ces hommes y ont mis. Quelle chance nous avons eue de pouvoir la visiter.

 

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On voit le jour différemment quand on ressort à l’air libre et qu’un peu de soleil d’hiver filtre derrière les branches nues. On apprécie chaque petit détail d’une nature pourtant au ralenti. En revenant aux voitures, Hélène et moi proposons de faire du café dans le van pour tout le monde, mais la bouteille de gaz touche à sa fin et c’est bien péniblement qu’on arrive à avoir du café très très tiédasse.

Après ce moment fort et après avoir quitté notre guide, nous suivons la voiture de Karine et Jean-François jusqu’à Craonne. La route longe des champs et des tas de betteraves à sucre qui ressemblent étrangement à des ossements. Nous étions passées à côté de Craonne la dernière fois en descendant du plateau de Californie, mais sans nous arrêter.

 

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C’est un village qui a été totalement détruit pendant les combats. Il se tenait à flanc de colline et aujourd’hui c’est comme si les bombardements avaient imprimé le village en creux dans la terre. En fait, c’est comme un village en négatif. On voit le trou de l’église, quelques pierres tombales, d’autres trous correspondant à des bâtiments qui se tenaient là, des maisons, l’école. La végétation a poussé sur les gravats. Thierry et Jean-François nous racontent l’histoire des lieux tandis que Frédéric, Anthony et moi prenons des photos avec les Vest Pocket.

 

 

Tout cela nous a donné faim – n’oubliez pas, on est dehors depuis ce matin, FIN NOVEMBRE ! Là, Karine sort de son coffre magique un véritable festin. On déplie les banquettes du van en mode salon (oui, on a un mode salon, ça permet de s’asseoir à cinq ou six, c’est très cosy) et on profite des spécialités locales (et, hum, odorantes) et des délicieuses tartes végétariennes que Karine a préparées la veille. Un pique-nique qu’on n’oubliera pas de sitôt !

 

 

Avant la tombée de la nuit, nos amis nous emmènent voir un monument vraiment intéressant : il s’agit d’une stèle érigée par les Allemands en mémoire de tous les combattants, aussi bien les leurs que les nôtres. Le monument a été construit pendant la guerre, c’est ça qui est fou. Aujourd’hui il surplombe les champs et les forêts.

 

 

On termine cette journée au fort de la Malmaison, que les Français avaient construit après la guerre de 1870 puis dynamité en bonne et due forme lors de tests d’explosif dans les années 1910. Même détruit, son emplacement et ses fortifications en ont fait un lieu qui a été utilisé par les deux camps durant la Première Guerre. Il faut dire qu’on domine les environs et qu’on voit jusqu’à Laon. Au crépuscule, on devine l’entrée de quelques casemates. Une tour édifiée par les Allemands se dessine sur la crête du fort, entre les branches des arbres. Il y a une ambiance, en tout cas, c’est certain, d’autant plus qu’un cimetière allemand datant de la Deuxième Guerre se trouve juste à côté.

 

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Il est temps pour nous de reprendre la route après une tasse de thé bien chaude. Quelle journée ! Comme toujours ces lieux émeuvent, quand l’histoire a laissé une telle marque mais que la vie a continué dessus. De belles découvertes donc, mais aussi et surtout l’occasion de rencontres amicales et enrichissantes !

Ne manquez pas le portfolio réalisé au Vest Pocket lors de cette belle journée.

Nous remercions chaleureusement Frédéric, Karine, Jean-François et Thierry de nous avoir concocté ce programme. Suivez la programmation du service Patrimoine de Soissons, mon petit doigt me dit que des activités autour du Vest Pocket devraient être organisées prochainement…

Nous remercions tout aussi chaleureusement Anthony Petiteau, à qui nous avons allègrement piqué quelques photos dans ce post 😉

 

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