Etape 1 : Bobigny
Ça a commencé un mardi après-midi aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis. Je ne sais pas si vous avez déjà été à Bobigny, autour de la préfecture ? Bon, ce n’est pas très riant sauf si on est fan du béton massif et de l’architecture sur dalle. Par contre on a ces avenue Jean-Jaurès, boulevard Lénine et autres rue Henri-Barbusse qui font le charme du département. Les grandes figures de notre époque de prédilection y sont bien représentées ! Mais si on connait au moins un peu Lénine et Jaurès, c’est rare qu’on en sache plus sur Barbusse.
L’expo aux archives est un bon préambule. Elle commémore le centenaire du prix Goncourt qu’a obtenu le roman Le Feu – Journal d’une escouade en 1916. Je prétends devant le médiateur que je l’ai lu il y a longtemps, mais c’est faux, alors en rentrant je m’y mets direct.
C’est vraiment une lecture que je recommande si on s’intéresse au sujet. La première partie emporte le lecteur dans un flot d’humanisme. Le narrateur se tait et écoute la verve et le franc-parler de ses camarades. C’est vraiment le rendu de ces voix que je retiens, et qui ont fait son succès autant que son scandale à l’époque. Barbusse les a côtoyés de près, ces soldats, puisqu’il s’est engagé en 1914 alors que son âge, sa santé et ses relations auraient très bien pu lui garantir une planque quelque part.
« Si tu fais parler les troufions dans ton livre, est-ce que tu les f’ras parler comme ils parlent, ou bien est-ce que tu arrangeras ça, en lousdoc ? C’est rapport aux gros mots qu’on dit. (…) Si tu ne le dis pas, ton portrait ne sera pas r’ssemblant : c’est comme qui dirait que tu voudrais les peindre et que tu n’mettes pas une des couleurs les plus voyantes partout où elle est. Mais pourtant ça s’fait pas. »[1]
Ensuite ça redevient plus classique et Barbusse retrace les affres de chaque moment de la Guerre, jour ou nuit, en première ligne ou au cantonnement, blessé ou valide. Ce sont les combats terribles et leurs lendemains encore pires, c’est le cauchemar d’eau, de cadavres et de boue qui n’en finit pas. Les dernières pages clament haut et fort un plaidoyer en faveur du pacifisme aux accents communistes assumés.
« On sera bien forcé de voir que si chaque nation apporte à l’Idole de la guerre la chair fraiche de quinze cents jeunes gens à égorger chaque jour, c’est pour le plaisir de quelques meneurs qu’on pourrait compter. »[2]
C’est que le monsieur est un poil gauchiste, comme m’explique le médiateur des archives. De plus en plus engagé après la Grande Guerre, Barbusse s’est fait autant d’amis que d’ennemis en adhérant au PCF puis en prenant ses libertés avec la ligne officielle. Il y a cette photo d’une grande manif dans Paris dans les années 30 où il pose, lui le communiste, aux côtés d’un dirigeant socialiste ; il prône l’alliance des deux partis pour contrer le fascisme. Bien sûr ça ne sera pas du goût de tout le monde.
Etape 2: Aumont-en-Halatte
Comme on fait les choses bien et/ou qu’on est complètement obsessionnelles, on prolonge en allant voir la maison de Barbusse à Aumont-en-Halatte dans l’Oise, notre destination du moment. Cette fois c’est le printemps, rien à voir avec l’Oise hivernale d’il y a un mois. On arrive dans un joli village non loin de Senlis aux belles maisons de pierre blanche, très bien entretenu. L’endroit semble parfait pour écrire, avec la forêt juste derrière.
La maison est actuellement vide et en attente de rénovation. Tant pis, on se contentera d’un coup d’œil de l’extérieur. Barbusse s’est installé là bien avant la Guerre, dès ses premiers succès. Devant la grille, une boite aux lettres au nom des « Amis d’Henri Barbusse » attend que quelqu’un passe prendre le courrier. Si le centenaire du prix Goncourt n’a pas suffi à rassembler l’argent pour la rénovation, ça parait mal barré, mais on espère vraiment que ça rouvrira un jour.
Etape 3: le Père-Lachaise
Bien sûr on n’allait pas rester là-dessus et j’ai fait un petit tour au Père-Lachaise pour aller voir la tombe de Barbusse. Sa mort à Moscou en 1935 a donné lieu à toutes les suppositions les plus rocambolesques, dont empoisonnement commandité par Staline himself. Sa dépouille est revenue en train de Moscou à Paris, avec le convoi qui s’arrêtait dans les villes de l’est de la France, salué par la population, avant un dernier hommage populaire ici au Père-Lachaise.
Sa tombe se trouve non loin du mur des Fédérés, là où des monuments aux morts et déportés du nazisme côtoient les sépultures de grandes figures du PCF. C’est impressionnant, très poignant : les stèles aux noms de Dachau, Ravensbrück, Auschwitz, Mauthausen alternent avec les Maurice Thorez, Marcel Cachin, Paul Vaillant Couturier, Pierre Sémard – ces noms qu’on croise forcément quand on vit en Seine-Saint-Denis. Henri Barbusse est parmi eux et je suis contente qu’aujourd’hui pour moi (et peut-être aussi pour vous) il soit un peu plus qu’un simple nom de rue.
Un grand merci à Sébastien Colombo, médiateur culturel aux archives de Seine-Saint-Denis.
[1] Henri Barbusse, Le Feu, in Les grands romans de la Guerre de 14-18, Omnibus, p. 126
[2] Idem, p. 246