L’interview de Stéphanie Trouillard

Le blog fait sa rentrée avec une nouvelle rubrique, qui est consacrée aux femmes qui se passionnent pour les questions d’histoire et de mémoire. Nous avons déjà testé le principe avec l’interview de Mathilde, médiatrice au Mémorial de Notre-Dame-de-Lorette, et il semble que cela vous ait plu. Nous avons donc envie que ce rendez-vous devienne régulier.

En effet, quand nous parlons avec nos amies ou connaissances qui sont passionnées et engagées dans ces sujets, nous arrivons toujours à un moment où nous racontons toutes les anecdotes où notre légitimité a été remise en cause parce que nous sommes des femmes. Bien sûr, les mentalités évoluent, mais lentement. Et il n’y a aucune raison que les femmes restent à l’écart de ces sujets qui les concernent autant que les hommes.

C’est donc un grand plaisir de partager aujourd’hui avec vous cette interview de Stéphanie Trouillard !

Bonjour Stéphanie ! Tu es journaliste et autrice et tu es passionnée par les questions liées à l’histoire et à la mémoire. Tu as notamment couvert le Centenaire de la Première Guerre mondiale pour France 24. C’est d’ailleurs comme ça que nous nous sommes rencontrées virtuellement !

Tu as aussi écrit un livre sur ton oncle résistant en Bretagne (« Mon oncle de l’ombre ») ainsi qu’un webdoc et une BD sur Louise Pikovsky, jeune Parisienne déportée pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Peux-tu nous dire d’où te vient cet intérêt pour l’histoire et la mémoire ? 

Je pense qu’il m’a été transmis de manière inconsciente. C’est en quelque sorte un héritage. Ma mère est née dans un village qui s’appelle Saint-Marcel dans le Morbihan. Il est connu pour avoir regroupé le plus grand maquis breton et pour avoir été le théâtre d’une bataille très importante le 18 juin 1944 qui a opposé des FFI encadrés par des parachutistes de la France libre aux Allemands. J’ai toujours su que le frère de mon grand-père avait été tué à cette période car il était résistant, mais personne n’en parlait dans ma famille. Il y a quelques années, j’ai voulu en savoir plus et je me suis lancée sur ces traces. J’ai fini par raconter son parcours dans un livre intitulé “Mon oncle de l’ombre”.

Nous avons beaucoup aimé toutes les deux « Mon oncle de l’ombre », une enquête écrite à la première personne sur cet oncle résistant durant la Deuxième Guerre mondiale. Au-delà de l’enquête historique, qui est en soi passionnante, le lecteur suit également le cheminement de l’autrice, ses découvertes, ses joies, ses doutes. La partie qui se déroule en Allemagne nous a particulièrement touchées. On vous le recommande chaudement !

Tu es très active sur les réseaux sociaux et tu as réalisé plusieurs webdocs. Quel rôle peuvent jouer ces nouveaux médias et formats dans la transmission mémorielle ? 

J’ai commencé à utiliser les réseaux sociaux il y une dizaine d’années, et notamment Twitter, mais c’est surtout lors du Centenaire de la Première Guerre mondiale que cela m’a été le plus utile. Tout au long des commémorations, une véritable communauté s’est créée sur ce réseau social. Cela m’a permis de partager mon travail à travers des live tweets ou en diffusant mes webdocumentaires et mes articles.

Cela a développé également un échange très dynamique avec les autres internautes. Il y a une véritable entraide et un partage de connaissances. Cela permet d’être en relation avec d’autres passionnés un peu partout en France, mais aussi dans le monde. Et pour ceux qui ne peuvent pas forcément se déplacer, cela leur fait visiter virtuellement des lieux mémoriels depuis chez eux. Ces nouveaux formats permettent par ailleurs de toucher un autre public qui n’a peut-être pas l’habitude de se plonger dans des livres.

Stéphanie en pleine action en Ukraine

Le fait d’être une femme qui s’intéresse à l’histoire et à la mémoire apporte-t-il selon toi une approche particulière sur ces questions ? 

Cela peut être à la fois un atout et une faiblesse. Quand j’effectue des reportages, les gens sont souvent positivement étonnés de voir arriver une femme, notamment quand il s’agit de sujets historiques militaires. Au delà de la curiosité, cela peut donc susciter de la sympathie et de la bienveillance.

Mais il m’est arrivé aussi à l’inverse de ne pas être prise au sérieux du fait de mon genre et de ma jeunesse. A de nombreux reprises, lors d’événements, je me suis retrouvée seule représentante de la gente féminine. Le monde mémoriel est encore très masculin, même si cela change.

Pour ce qui est de l’approche, je ne peux pas parler au nom de toutes les femmes, mais personnellement, il est vrai que je m’attache au caractère humain des histoires sur lesquelles je travaille, bien plus qu’aux aspects stratégiques. Je ne sais pas si c’est une approche particulièrement féminine. Je cherche en tout cas avant tout à faire sortir de la grande histoire des parcours d’anonymes.

Avec le dessinateur Thibaut Lambert, Stéphanie Trouillard raconte dans « Si je reviens un jour, Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky » le parcours de la jeune Louise Pikovsky, qui a été déportée et assassinée à Auschwitz en 1944. Des lettres de la jeune fille ont été retrouvées au lycée Jean de la Fontaine, à Paris, en 2010, et ont servi de base à ce témoignage poignant. L’adaptation en bande dessinée rend ce récit très adapté pour les jeunes.

Peux-tu nous raconter un moment marquant que tu as vécu lorsque tu couvrais le Centenaire de la Première Guerre mondiale ?

Il y en a eu tellement pendant ces cinq ans, c’est difficile de choisir. J’ai notamment beaucoup travaillé sur l’histoire des Poilus de ma famille. Je me suis rendue jusqu’en Macédoine sur les traces d’un arrière grand-oncle tombé sur le front d’Orient en 1916. À chaque fois, en recollant les morceaux et en écrivant leur histoire, j’ai été surprise de ressentir autant d’émotions après tout ce temps.

Mais la plus forte, je l’ai vécue le 11 novembre 2014, lors de l’inauguration de l’Anneau de la mémoire, près de la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette. Je savais que sur ce monument serait inscrit le nom de mon arrière-grand-oncle, Joseph Trouillard, comme celui de tous les soldats tués dans le Nord-Pas-de-Calais au cours du conflit.

C’est également le nom de mon grand-père, qui en a hérité en mémoire de son oncle. De lui, j’ai peu de souvenirs car il est décédé alors que je n’avais que sept ans. Un épisode me reste cependant. Un jour, alors que je me trouvais en vacances chez lui, je l’avais harcelé tout l’après-midi pour avoir un soda que j’avais fini par jeter, sans même le boire. Mon grand-père m’avait passé un bon savon pour ce caprice de petite fille.

Plus de vingt ans plus tard, au moment où je découvrais le nom de son grand-oncle sur l’Anneau de la mémoire, j’ai reçu un message de mon père à propos de l’article que je venais d’écrire sur Joseph. « Ton grand-père t’aurait pardonné pour le soda », a-t-il simplement écrit. À ce moment précis, j’ai réalisé que je ne faisais pas seulement ce travail pour France 24, ni pour moi-même. Pendant cinq ans, de novembre 2013 à novembre 2018, c’est toute ma famille qui m’a accompagnée, faisant de moi le maillon d’une longue chaîne, la dépositaire d’une mémoire. 

Au cimetière de Bitola (Macédoine)

Toi aussi, tu aimes passer tes vacances dans des endroits marqués par l’histoire. Nous nous sommes d’ailleurs manqué de peu à Gdansk ou en Vénétie ! Qu’apportent ces voyages à ta démarche mémorielle ? 

Je n’envisage pas de travailler sur l’Histoire sans aller sur place. J’adore lire des ouvrages, mais rien ne peut remplacer les sensations qu’apportent le terrain. C’est en allant sur les lieux mêmes de tel ou tel événement historique que l’on ressent véritablement ce qui s’est déroulé. C’est quelque chose de très physique et qui est souvent difficile à décrire.

Quand j’ai effectué les recherches sur la jeune Louise Pikovsky, il était important pour moi de connaître les lieux qu’elle avait fréquentés : son lycée, son immeuble, son quartier et malheureusement Drancy où elle a été internée. Quand je voyage, n’importe où en France ou dans le monde, j’aime aussi connaître l’histoire du lieu. Chaque endroit à une histoire à raconter. Il suffit de chercher un peu.

Par ailleurs, certaines personnes ne comprennent pas toujours ma démarche et considèrent que mes sujets sont “morbides”. Mais en alliant histoire et voyage, cela permet aussi de découvrir d’autres paysages, d’autres cultures, d’autres gastronomies. Il n’y a pas que les visites de cimetières, il y a heureusement tous les à-côtés !

A Angres (Pas-de-Calais), là où l’arrière-grand-oncle de Stéphanie a été tué

Merci beaucoup Stéphanie d’avoir répondu à nos questions !

Vous pouvez suivre les aventures et les projets de Stéphanie sur son compte Twitter ainsi que sur les pages Facebook de Mon oncle de l’ombre et Si je reviens un jour : les lettres retrouvées de Louise Pikovsky.


6 réflexions sur “L’interview de Stéphanie Trouillard

  1. Une interview passionnante de Stéphanie TROUILLARD qui réalise un travail de mémoire remarquable. Des propos passionnants et combien essentiels, notamment pour les plus jeunes générations qui ont besoin de repères. Les articles de Stéphanie sur la Grande Guerre et son Centenaire leur ont permis de se réapproprier l’histoire de leur ville ou de leur village, parfois aussi de leur famille. Sensibiliser les jeunes générations au travail de mémoire est une tâche ardue, que les adultes ne comprennent malheureusement pas toujours. Bravo à vous également, Paule-Elise et Hélène, pour votre attachement à notre territoire et à son histoire. Amicalement.

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  2. J’aime beaucoup vos itw mémorielles. Vous mettez en valeur des personnes fortes, passionnantes, des initiatives originales… je me régale.

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