Armistice dans les Ardennes, une micro-aventure

Cela faisait quelques semaines qu’on y pensait, à ce 11 Novembre 2018. Evidemment, deux ans et demi qu’on crapahute sur les lieux de mémoire de la Première Guerre pendant nos week-ends et nos vacances, deux ans et demi qu’on partage ces aventures sur ce blog, alors on n’allait pas le louper, ce Centenaire de l’Armistice. Mais comment choisir, quoi faire, où aller ? Il y avait tellement d’événements organisés partout en France, on ne savait pas par où commencer. Mais on avait quand même quelques critères : renouer avec l’improvisation la spontanéité de nos premières aventures, en se lançant sans trop préparer et en voyant sur place ; et être loin des cérémonies officielles et de la foule. Bon, rétrospectivement, on se dit qu’on a atteint les deux objectifs !

Quelques jours avant de partir, les finalistes étaient : la Flandre française et les Ardennes. La météo s’annonçait tout aussi mauvaise des deux côtés, mais on avait bien envie de retourner dans les Ardennes et d’aller se balader un peu dans la forêt. Ce fut donc les Ardennes, pour un week-end pas comme les autres avec de la pluie, de l’histoire, un lac superbe, une tartiflette au boudin blanc, une crise de foie, de la mémoire et, toujours, de l’émotion. En bref, une micro-aventure digne de ce nom.

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Camper sur le lac des Vieilles Forges

Nous voici en route vers l’Est sur notre chère Nationale 3. Le ciel est couvert et il ne pleut pas, le bonheur. Paule-Elise enquille les kilomètres comme une vrai pro. Petite pause à Saint-Jean-Les-Deux-Jumeaux, un village cher à notre cœur où on s’était déjà arrêté lors de notre road-trip dans le Grand Est pour un pique-nique au bord de la Marne. Pour rire, on s’arrête à la même boulangerie qu’à l’époque, car on se souvenait d’une fort bonne ficelle à la moutarde. Oui, c’est curieux, mais elle était vraiment bonne, cette ficelle. Un plat raffiné réalisé avec du pain, de la moutarde et de la crèèèème ; beaucoup de crème. Quand j’entre dans la boulangerie, la boulangère me regarde bizarrement en me disant avec un ton d’évidence : « Les ficelles à la moutarde, c’est le week-end ». J’ai l’impression d’être la touriste américaine qui commande un croissant avec son steak frites.

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Après cette petite péripétie, on continue tranquillement notre chemin vers les Ardennes. Première surprise, même si sur la carte, la région est envahie par la forêt, le paysage est avant tout constitué de champs. Deuxième surprise, notre GPS est devenu complètement fou. La faute à un satellite pris d’une crise de délirium tremens en survolant l’Est ? Tommy (le GPS) décide de nier qu’il existe une route et change sans arrêt ses indications.  Il reprend finalement ses esprits et nous guide vers notre point de chute repéré grâce à l’appli Park 4 night. L’endroit exact n’est pas super, mais on s’installe un peu plus loin sur le parking désert de la base nautique au bord du Lac des Vieilles Forges.

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Là, le bonheur. Un lac magnifique avec des arbres de toutes les nuances allant du jaune au rouge à perte de vue. Nous sommes quasiment les seules au bord de l’eau, à contempler des oies qui s’ébattent sur le rivage. C’est vraiment la magie du van qui concrétise l’expression un peu bateau « sortir des sentiers battus ». Par contre, il est déjà 16h30 et à cette heure-là en novembre, il fait presque nuit. On revient au van, et on se prépare pour une looonnnnggggguuuue soirée.

Le van en automne, c’est comment ?

Depuis qu’on a le van, on arrive à partir avec lui jusqu’en novembre. Il est bien isolé et garde bien la chaleur de la journée. Le tout c’est de bien s’équiper si vous êtes frileux, comme Paule-Elise. Il suffit d’investir dans un sac de couchage confort zéro degré et dans un sweat doublé en peau d’ewok, et tout ira bien. Une autre option, la mienne, consiste plutôt à boire moult boissons chaudes. Une étude scientifique menée par mes soins prouve d’ailleurs qu’il faut à peine quinze litres de boissons chaudes par demi-heure pour maintenir sa température corporelle dans un van en automne.

Ce qui change le plus par rapport aux roadtrips en été, c’est que les journées sont bien plus courtes et donc les soirées plus longues. Ça force à redoubler de créativité pour inventer des catégories de petit bac (« Truc qui gratte », « Maladie », « Truc décadent », « Dictateurs célèbres », « Truc qui pue » et j’en passe) et/ou à prévoir des bouquins en conséquence.

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En vrai, le problème N°1 dans le van, été ou automne, c’est l’humidité. Et là on souffre vraiment parce que rien ne sèche. Du coup les fringues restent humides, ça sent le chien mouillé (ok, peut-être parce qu’on a un chien mouillé là-dedans), aucun moyen d’y échapper. Pour trois jours ça va, mais si ça dure plus longtemps c’est pas hyper cool. Une petite astuce : prévoir des fringues qui ne sortiront pas du van et qui resteront sèches.

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Après une bonne nuit, le paysage est toujours beau, mais avec une petite différence. Il pleut. Beaucoup, énormément en fait. On s’occupe chacune de notre côté. Paule-Elise prend des photos, je sors regarder les oiseaux en niant l’humidité et le froid. Froid, moi, tu rigoles ! Ok, je tremble et j’ai les lèvres bleues mais ça doit être un hasard. Ruby ne fait rien, si ce n’est nous regarder avec un air de reproche, du style : « Pourquoi moi je suis dans une boite mouillée alors que Madeleine (le chat) est restée à la maison, le monde est trop injuste ». Quand je pense qu’avant de l’adopter, je m’étais préparée psychologiquement à sortir par tous les temps, alors qu’elle refuse absolument de mettre une patte dehors si le sol est mouillé. Grotesque.

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Après cette plongée aussi revigorante qu’humide dans la nature, il nous vient des envies de civilisation, de gens, de moments culturels. En fait  pour dire la vérité, il nous vient surtout une envie d’irish coffee. Et si on filait vers Charleville-Mézières ?

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Faire la tournée de la place Ducale à Charleville-Mézières

Nous étions déjà venues à Charleville, c’était d’ailleurs l’une de nos premières escapades en van pour le festival Au Cabaret-Vert. C’était l’été, la Meuse avait une belle couleur émeraude et l’ambiance était festive. On en avait profité pour faire un petit « Rimbaud tour » en visitant le musée qui lui est consacré et en allant faire un tour sur sa tombe. C’est un super souvenir et on s’était dit qu’on reviendrait.

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Nous voilà donc installant le van le long de la Meuse, qui est plus sombre qu’en été, près de la halte nautique en face de chez Arthur. L’emplacement est chouette, mais : IL. PLEUT. NON. STOP. La tournée de la place Ducale s’impose, dans l’ambiance sympathique de la braderie d’automne.

Vous apprendrez peut-être au passage que la place Ducale, qui date du début du 17ème siècle, n’est rien moins que la sœur jumelle de la place des Vosges à Paris (les architectes étaient frangins). Et c’est vrai qu’elle a ce petit je-ne-sais-quoi de familier, avec ses façades de briques et de pierre, ses grands toit d’ardoise et ses arcades en rez-de-chaussée. Mais allons découvrir ce qui se passe derrière ces arcades.

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Le musée de l’Ardenne

Au numéro 31, vous découvrirez le musée de l’Ardenne, un endroit à la fois charmant et intéressant.

Le mélange entre une scénographie moderne, le charme d’un bâtiment ancien et une collection hétéroclite fonctionne bien. Pas question de tout vous spoiler, mais sachez que vous trouverez dans les salles : une défense de mammouth, des armes, une collection de clous et plein d’autres choses encore. L’histoire ouvrière et artisanale de la ville est bien présente aussi. On a été sensible au fait que des dispositifs en 3D permettent aux personnes non-voyantes de toucher des reproductions des œuvres. C’est plutôt novateur, on n’avait jamais vu ça ailleurs.

Jusque fin février 2019, vous pourrez y voir l’exposition « Finir la guerre, 1918-1933 », qui explique comment la reconstruction s’est faite dans ce territoire qui a été particulièrement touché durant la Première Guerre. On y apprend, entre autres, les liens qui existent entre Charleville-Mézières et d’autres villes d’Europe ou d’Amérique qui ont financé sa reconstruction. C’est par exemple le cas de Manchester, et aujourd’hui encore il y a un quartier de la ville qui s’appelle Manchester.

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C’est cette histoire particulière qui nous a incitées à venir ici. En général, on met souvent en lumière les lieux de bataille. Tout le monde sait qu’il y a eu des combats à Verdun ou sur le Chemin des Dames, par exemple. Mais à force de voyager sur les lieux de mémoire, notre intérêt a grandi pour le sort des populations civiles et des territoires occupés, comme à Lens ou en Belgique. Au final, les lieux de combat ne sont qu’une partie de l’histoire, une partie certes décisive, mais qui ne doit pas occulter tout ce qu’ont endurées les populations (et particulièrement les femmes) à l’arrière ou dans les zones occupées.

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Le département des Ardennes est le seul à avoir été intégralement occupé durant la Première Guerre. Envahi en 15 jours, il sera occupé durant 51 mois. Environ un tiers des habitants choisit de fuir dans le plus grand dénuement. Des villages, comme Haybes, sont totalement détruits. Le GQG allemand s’installe à Charleville-Mézières, avec l’Empereur Guillaume II et tout. Les troupes d’occupation et de passage prennent possession du territoire. Des phénomènes qu’on associe généralement à la Seconde Guerre mondiale, comme le travail forcé ou la déportation, existent déjà dans les Ardennes entre 1914 et 1918.  Cette souffrance de la population civile reste souvent mal connue et mal exposée par rapport aux faits guerriers, et c’est bien dommage.

L’Office de tourisme et le Musée de l’Ardenne ont édité une brochure intitulée « Mézières-Charleville, Capitales françaises de l’Allemagne 1914-1918 », qui vous guidera sur l’histoire de la ville durant cette période.

Où boire / manger ?

Hormis le musée de l’Ardenne, vous trouverez de bonnes adresses où vous restaurer sur la place Ducale. Voici notre petite sélection.

Pour boire un irish coffee : le Garden Ice Café, vaste bar lounge où se poser l’après-midi, par exemple, pour boire un irish coffee ou un steamer (il y a clairement deux teams dans notre team) et parler longuement de : on fait quoi après ? (Réponse, on va au musée).

Pour boire une bière : le Caveau, un petit bar tout en longueur avec une belle déco à l’ancienne, des banquettes en cuir vert, des lampes et des miroirs Art Déco… Qu’est-ce qu’on y boit ? La Tournée d’Arthur, pardi ! Une bière locale qui se déguste en lisant les vers de Rimbaud à même le verre… On aime !

Pour diner local : la Brasserie Ducale, qui propose quelques spécialités ardennaises, comme ce gratin en mode tartiflette avec de la tomme locale au lieu du reblochon et… du boudin banc de Haybes au lieu des lardons… Juste sauvage ou super sauvage ??? Super bon en tout cas, à faire passer avec un cidre local.

Revivre le dernier combat

Et si vous vous dites: irish coffee + bières + gratin super sauvage + cidre = gros risque de crise de foie, je réponds que vous avez raison. C’est d’ailleurs comme ça que ce 11 Novembre a commencé. A l’heure où toutes les cloches de France sonnaient la fin de la guerre, cent ans après, Paule-Elise émergeait péniblement d’une nuit difficile. (La crise de foie, c’est une chose. La crise de foie dans le van humide en novembre, c’est autre chose). Donc on a mis un peu de temps à décoller. Mais vous commencez à nous connaître. Vous savez qu’il en aurait fallu plus pour nous décourager.

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Après quelques recherches la veille sur les événements organisés localement pour l’Armistice, on a jeté notre dévolu sur le site de Vrigne-Meuse, situé entre Charleville et Sedan. Oh mais attendez, vous vous demandez peut-être quel temps il faisait. On vous laisse deviner. Il pleuvait. Beaucoup. Non stop. Cela dit, il faisait aussi un temps de chiotte il y a cent ans, quand la dernière offensive de la Première Guerre mondiale a commencé sur ces rives de la Meuse. Alors, on est raccord.

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Une association locale, Le Miroir, organisait des reconstitutions de cette dernière bataille dans le cadre du cycle Augustin Trébuchon. Ce nom vous dit peut-être quelque chose, car il est considéré comme le dernier soldat français mort durant la Première Guerre. Mourir le 11 novembre 1918 à 10h50, vraiment pas de bol. Il est tombé là, dans les Ardennes, sur les bords de la Meuse qu’il fallait à tout prix reconquérir.

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Ce qui est terrible avec cette dernière bataille, c’est que les négociations de paix avaient déjà bien commencé et qu’elles étaient plutôt favorables aux Alliés. Mais pour mettre la pression sur l’Allemagne, le commandement français ordonne le 9 novembre à ses troupes de franchir la Meuse, frontière symbolique. Peu importe si cela implique que des soldats devront la traverser de nuit dans des conditions plus que précaires et tenir sans renforts une fois arrivés de l’autre côté. Ce furent les dernières pertes de la Grande Guerre.

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Nous y voici donc, sur les lieux du dernier combat. Un pont de bateaux permet de traverser la Meuse, comme à l’époque. Des reconstituteurs s’abritent sous une tente pour avaler leur sandwich, pieds dans la boue. Paule-Elise oublie sa crise de foie, enfile son Kway et plonge sous la pluie pour traverser le pont et ramener quelques photos. J’avoue, je décline l’invitation. C’est beau ici, mais sacrément mélancolique aussi. Et tout est si humide ! Quelques promeneurs bravent les éléments et viennent eux aussi se souvenir.

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Après cette pause près de l’écluse de Dom-le-Mesnil, nous montons sur les hauteurs dans un bois qui surplombe les lieux. Depuis le point de vue, on voit bien la Meuse en contrebas et ses champs plats où la bataille a eu lieu. Il pleut encore, on sort faire la photo et puis on se prépare une soupe de nouilles instantanées dans le van, dans cette forêt tranquille, seules au monde, loin de tout.

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On aurait aimé faire plus, assister à une commémoration le matin et visiter le Musée Guerre et Paix en Ardennes, qui vient d’ouvrir, sur le retour. Ce n’est pas grave, on reviendra. Mais c’était important pour nous d’être là, de mouiller le maillot (littéralement !), et de ne pas être restées dans notre canapé à regarder les cérémonies à la télé. Dans ce coin de l’Ardenne, un dimanche de novembre, on était au plus près de la mémoire des soldats et des populations qui ont tant souffert.

L’association Le Miroir, qui a organisé de nombreux événements dans le cadre du cycle Augustin Trébuchon, a eu la gentillesse de nous envoyer quelques mots et quelques photos sur cette journée.

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« Nous avions stationné notre char FT au niveau de la route. Ce char est une fidèle réplique du char de la Victoire. Il a été refait entièrement à l’identique avec le partenariat du Lycée Technique François Bazin de Charleville-Mézières. Nous n’avons pas compté nos heures mais c’est un travail qui a duré cinq ans. Nous avons obtenu la labellisation du Centenaire pour ce projet d’envergure.

Notre association créée par des passionnés d’histoire en 1992 s’est spécialisée dans les reconstitutions de la Grande guerre par des campements, expositions, prises d’armes, entre autres. Nous ne jouons pas à la guerre même pour faire semblant…

Bien entendu, nous commémorons également les débuts de la Seconde guerre mondiale et autres conflits. Une section France 40 a même été créée au sein du groupe. Elle s’est dotée de nombreux matériels d’époque. »

KODAK Digital Still Camera

Ne jamais arrêter de se souvenir

Impossible de se balader dans les Ardennes sans penser à Rimbaud, l’enfant du pays. Il n’a pas connu la Grande Guerre, mais son ancêtre la Guerre de 1870. Il était aux premières loges, en fait. Sur le bord de la Meuse, là où est tombé Augustin Trébuchon le 11 novembre 1918, on pense au « Dormeur du val », ce poème qu’on a tous appris à l’école. Il parle des événements de 1870 mais aujourd’hui il semble tellement universel qu’il pourrait parler d’Augustin Trébuchon ou de n’importe lequel de ces 10 millions de soldats tombés en 14-18, toutes nationalités confondues. Alors c’est avec un peu de poésie que nous avons envie de terminer cette micro-aventure ardennaise.

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

(Photos prises au Kodak Vest Pocket, notre petit appareil qui date de la Première Guerre – et qui n’a pas trop aimé la pluie…)


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