Thionville night fever

On s’installe au camping municipal de Thionville au bord de la Moselle. Thionville, son centre piéton et son architecture datant de l’Annexion (ça fait penser à Strasbourg), ses bars à bière comme on n’en fait pas assez à Paris et où les chiens savent ramener des capsules, ses barbus tatoués, son ambiance familiale et agréable… On commence par quelques emplettes indispensables : un tire-tiques et des baskets en soldes, les nôtres ayant péri dans la boue de la Meuse. Mais j’avoue qu’après ça mes souvenirs sont flous.

Je me souviens de bribes d’une discussion qui devait finir par arriver à force de trainer sur les champs de bataille, les cimetières militaires et les anciens hauts-fourneaux, et bien c’est arrivé là autour d’une calzone végétarienne : pour quoi serait-on prêtes à s’engager ? Il est toujours bon d’avoir ce genre de discussion bourré. Je me lance dans une tirade imparable en mode : « Non mais aller mourir pour trois grammes de charbon ou d’acier ou de gaz ou de pétrole, déjà c’est pas possible. Mais si en plus c’est pour que 80 ans plus tard ces gisements soient à l’abandon, alors là, faudrait pas non plus prendre les gens pour des cons. Franchement regarde : qui se battrait aujourd’hui pour la Moselle ? » Hélène formule une opinion plus nuancée. Bref nous voilà, une végane belliciste et une bourgeoise pacifiste, toutes les deux aussi saoules, la belle équipe !

Attendez, il me semble qu’Hélène souhaite apporter quelques précisions… Très bien, soyons démocratiques, on t’écoute.

Il est temps que j’intervienne pour rétablir certaines vérités sur cette soirée.

D’abord, nous n’étions pas aussi saoules toutes les deux. Techniquement je n’étais pas saoule. Bien sûr vous pourrez vous dire que tout cela n’est que rodomontades et forfanteries mais c’est la plus pure et stricte vérité. Et dieu sait le nombre de fois où j’ai été saoule tandis que Paule-Elise ne l’était pas. Mais tel un sémillant petit loup-garou il est arrivé en de rares occasions que PE se transforme sous l’effet de quelques mystérieuses mixtures en un primesautier lutin aussi charmant qu’aviné. Bref, une bière, deux bières, trois bières plus tard, j’ai en face de moi une PE prolixe et affamée. Or il faut savoir que quand elle est affamée, elle se transforme en pitbull prêt à vous sauter à la gorge (d’ailleurs on le verra plus tard).

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Donc il est temps de nous sustenter. Ça tombe bien ! Se dresse soudain devant nous un restaurant polonais qui a l’air super et qui préfigure de notre futur voyage à Poznan. Oui mais voilà : la serveuse se montre circonspecte devant nous. Il est un peu tard, il y a du monde et clairement elle n’a pas envie de nous servir. Cependant son attitude subtilement désapprobatrice se heurte à la brusque franchise de PE qui tient coûte que coûte à manger là-bas. [Oui, qui ne voudrait pas manger polonais ?] Il y eut du sang, des larmes, du chantage et des menaces. Mais nous nous quittâmes bonnes amies malgré tout.

Deux rues plus loin on atterrit dans un italien discret qui nous sert deux très bonnes pizzas bien qu’un peu modestes pour PE qui hurle : « Non mais 25 cm c’est minuscule, c’est minuscule, c’est minuscule. J’ai plus trop faim là ». C’est vrai par contre qu’on a parlé. Je ne suis pas trop à l’aise pour évoquer ces sujets-là. Ma tête pense que PE a raison car la guerre sacrifie les gens et ne profite à personne mais je travaille sur et avec des soldats et je ne peux m’empêcher d’admirer leur vocation. J’ai aussi entendu des récits sur des zones de guerre qui se terminaient invariablement par cette question fatidique : « Et si on n’y va pas, on fait quoi ? ». Et bien honnêtement je ne sais pas.

 Merci Hélène pour ces détails. Ah, ce n’est pas terminé ?

 Après cet intermède sérieux nous déambulons digestivement dans le parc près du camping et PE décide d’invectiver les gens en gueulant que c’est pas le moment de la chercher car elle a un pitbull. Je ne discute pas de la validité de son argumentation ; quoique primaire, elle ne manque pas de force de conviction. Je lui fais juste remarquer que, nous promenant sans notre chien (qui n’est d’ailleurs pas vraiment un molosse mais plus une patate pourvue de jambes), il y a un fort risque d’incompréhension. Nous rentrons néanmoins sans encombre. Une fois dans le van nous nous apprêtons à doucement entrer dans le sommeil quand celui-ci est perturbé par de la musique que je qualifierais charitablement de merdique. Des lycéens fêtent la fin du bac sous un chapiteau au bord de l’eau et notre emplacement est juste à côté. Nous nous endormons avec la pensée que la musique de merde d’avant c’était mieux quand même. 

 Attends, t’oublie un morceau, là…

 Ok, si tu insistes. C’est tout à ton honneur de vouloir relater notre rencontre avec des policiers. Que dire ? Un jour vous défiez les forces de l’ordre en dansant la macarena sur un balcon malgré les menaces de la vieille dame d’en face, quinze ans plus tard votre femme demande à des agents d’un air angoissé s’ils interrompront bien la fête à 23h pile parce que bon le bruit là ça va bien. La vie est ironique.

Bien sûr, je nie tout en bloc.