Dans Les lesbiennes montent au front, vous avez pu faire connaissance avec Toupie Lowther, grande sportive et femme à poigne qui a créé le SSY3, une unité d’ambulancières qui a officié dans les postes de secours avancés pendant la Première Guerre mondiale. Savez-vous qu’il existe son pendant français mais dans une version beaucoup plus sombre et ambiguë ? Voici l’histoire de Violette Morris.
Violette Morris est loin d’être une inconnue sur le net, je ne vous referai donc pas sa biographie détaillée. Sachez juste que ce fut une sacrée sportive avec pour devise « Ce qu’un homme peut faire, Violette peut le faire ». Non seulement elle le faisait, mais elle le faisait mieux puisque personnellement, je ne connais aucun homme qui soit à la fois athlète accomplie, pilote émérite, footballeuse et boxeuse. Pour avoir plus de détails sur son parcours sportif, je vous recommande l’article de Claire Lemesle sur le blog Gallica Violette Morris. Parcours d’une scandaleuse. Cliquez sur le lien relatif aux photographies de presse, vous verrez Violette Morris en action, cela donne une bonne idée du personnage.
Si beaucoup d’articles lui sont consacrés, son action pendant la Première Guerre n’est pas très détaillée. Pas de problème, c’est justement le thème de notre blog. Allons-y. Nous savons qu’elle fut ambulancière dans la Somme et estafette à Verdun. Une photo de l’article du Rose au brun la montre au guidon de la Peugeot bicylindre utilisée dans l’armée française pendant le conflit.
Qu’est-ce qu’une estafette ? Eh bien c’est un soldat chargé de relayer les ordres et les informations entre les officiers d’état-major et le front (c’est pas mal quand même les téléphones portables). Il faut être courageux, fiable et avoir un bon sens de l’orientation. Il faut surtout être un excellent pilote. Imaginez-vous zigzaguer sur des routes défoncées par les cratères d’obus et les convois d’hommes et de bêtes tout en risquant à tout moment d’être pris sous un feu d’artillerie. Ça fait rêver non ? Verdun n’ayant pas exactement été une promenade de santé, on imagine que Violette Morris a du faire preuve de pas mal de sang-froid et de courage pour accomplir sa mission. Issue d’une famille de militaire, il parait qu’elle n’hésite pas à s’en prendre aux poilus qui préfèrent s’automutiler plutôt que de combattre.
Sortie indemne de la guerre, les choses se gâtent pour elle en 1927. Alors qu’elle doit participer aux premiers Jeux Olympiques féminins, la fédération sportive féminine lui refuse le renouvellement de sa licence. Elle est notamment accusée de trafic d’amphétamines puis d’atteinte aux bonnes mœurs pour avoir embrassé une femme dans un vestiaire. Son habitude de porter des vêtements masculins, sa double mastectomie volontaire (pour pouvoir mieux piloter) choquent et dérangent. Finalement, la fédération a gain de cause en l’accusant de port de pantalon ! En effet, il est illégal de porter des pantalons pour les femmes sauf dans des cas très particuliers selon une ordonnance datant de l’Empire[1].
Bien sûr il est facile aujourd’hui de s’offusquer et de fustiger les instances officielles. A mon avis, les membres de la fédération n’ont pas forcément agi par machisme primaire mais, voulant promulguer le sport féminin, les directrices de la fédération ont voulu écarter un élément « perturbateur » susceptible de leur attirer une mauvaise publicité. Violette Morris est ouvertement bisexuelle, grande gueule et n’hésite pas à s’en prendre violemment aux arbitres. Malheureusement ce n’est ni la première, ni la dernière fois qu’un seul individu sera sacrifié sur l’autel de l’avancement d’une cause commune.
Il n’empêche que Violette Morris se sent très justement trahie et mise au ban de la société après cette affaire. Cela influence peut être la suite de sa vie.
En 1936, invitée aux Jeux Olympiques de Munich, il semble qu’elle soit approchée à ce moment par la Gestapo. Son rôle pendant la Deuxième Guerre mondiale est extrêmement trouble. Elle est suspectée d’avoir été une espionne au service des Allemands et d’avoir torturé des résistants avec une bestialité telle qu’elle est surnommée la hyène de la Gestapo[2]. Récemment cette théorie a été nuancée par Marie-Josèphe Bonnet dans son livre Violette Morris, Histoire d’une scandaleuse[3] qui témoigne du manque de sources prouvant formellement le rôle exact de Violette Morris pendant la Seconde Guerre mondiale.
Violette Morris est un personnage complexe et hors-norme. Issue d’un milieu militaire traditionnaliste, elle se revendique femme fière, libérée et scandaleuse tout en professant publiquement des opinions réactionnaires et racistes. Elle n’entre dans aucune case et ne peut être jugée de façon trop manichéenne. Cependant, nous pouvons quand même nous poser une question sur elle. Le fait qu’une partie intégrante de son identité ait été stigmatisée, niée et moquée a-t-il conduit cette femme, dont l’action pendant la Première Guerre mondiale a prouvé la force de son amour pour la France, à se compromettre avec les idéologies les plus nauséabondes et antipatriotiques qui soient ? A méditer.
[1] Et qui ne sera annulée qu’en 2013
[2] Raymond Ruffin, Violette Morris: la hyène de la Gestapo, Ed Le cherche Midi en 2004.
[3] Marie-Josèphe Bonnet dans son livre Violette Morris, Histoire d’une scandaleuse, Paris, Perrin, 2011