Pour cette rubrique de « Voyager végé », nous vous avons concocté quelque chose d’un peu différent des posts précédents puisque nous ne sommes pas en voyage mais dans notre cuisine avec des vrais ustensiles, de la vraie vaisselle, un four, bref une débauche de luxe délirant. Vous allez voir c’est pour la bonne cause.
Comme tout bon végétarien, végétalien ou vegan qui se respecte, vous avez forcément été un jour confronté à un sceptique qui vous a dit : « Oui tu manges pas de viande, c’est trop bizarre, après tout si les humains ont toujours mangé de l’animal, il y a une raison. » En bref si tu bouffes pas ton steak c’est comme si tu faisais un bras d’honneur à tes ancêtres et mettait un coup de boule à ta grand-mère. Eh bien il est temps de rétorquer à ces ignorants que dans l’histoire, l’état a déjà encouragé son peuple à consommer moins de bèbètes.
Dans quel contexte? La Première Guerre bien sûr ! Je ne m’étends pas sur le sujet, si vous êtes sur ce blog c’est que c’est un peu votre truc, sinon vous vous êtes trompé d’adresse mais restez quand même ça nous fait plus de lecteurs. Juste en bref, dans la France rurale d’avant-guerre un agriculteur mange les produits de sa ferme et vend le surplus pour nourrir les urbains. En gros, le gouvernement ne se mêle pas de la façon dans vous remplissez votre assiette. Cependant, quand la France mobilise ses troupes, les fermiers en question se retrouvent jusqu’au cou dans la boue des tranchées et la moindre des choses c’est que leurs gamelles soient pleines et c’est à la France de régler ça. Aie, équation complexe, d’un côté moins de producteurs de viande, de l’autre plus de besoins de nourriture que jamais.

Le ministère de la Guerre se débrouille pour amener du bétail pas loin du front et organise des abattoirs à ciel ouvert. Ça devait être méchamment gore comme scène mais c’est une autre histoire. Ce bétail est pour les soldats et l’état incite donc les civils à se passer de viande. La guerre se poursuit jusque dans les fourneaux. Pour mieux faire avaler la pilule à des ménagères adeptes du carné, le cuisinier Prosper Montagne rédige des livres de cuisine, dont un intitulé « La bonne chère pas chère sans viande [1] » ou comment remplir les estomacs de votre famille sans animal mort et en faisant en plus des économies. Car malgré ce que peuvent dire certains esprits chagrins, le végétarisme c’est sacrément économique même aujourd’hui. Il y a eu plusieurs livres qui parlaient de la question et proposaient un paquet d’idée.
Pour ce post, nous avons décidé de recréer une de ces recettes d’antan. C’est le « rôti sans viande D », composé de pommes de terre, d’œufs avec les blancs montés en neige et de tout ce que vous avez sous la main comme produits laitiers : lait, gruyère, beurre… Une pincée de sel, et voilà ! On résiste à la sauce aux champignons qui est suggérée comme accompagnement, non, on veut la version hardcore patato-puriste.
Le résultat est… comment dire… comme de la tartiflette sans lardon, ou du hachis parmentier sans viande hachée, ou de la truffade sans la saveur du cantal. Bref, un hommage sobre à l’efficacité de la patate. Idéal pour nourrir des tablées d’enfants à moindres frais. A noter, il existe aussi une version dite de luxe aux marrons histoire de blinder l’estomac encore plus, c’est le « rôti sans viande E ».
En conclusion, la prochaine fois que vous invitez votre grand-oncle que vous aimez bien même s’il a une haleine d’accordéon, de pastis et de France profonde à un déjeuner du dimanche et qu’il commence à vous rabâcher ces arguments contre le végétarisme, enfoncez-lui profondément une tranche de rôti végétarien dans le gosier et achevez-le en lui disant qu’à l’époque végétarisme a rimé avec patriotisme.
La recette :
[1] Paris, Pierre Laffite, 1918