Avouez, à cette période de l’année on a tous parfois l’impression que notre vie est un long couloir terne et désespéré. Pour me sortir de ce marasme, personnellement je pense à la guerre. Et oui, je travaille et je pense à la guerre, je suis en vacances et je pense à la guerre, je déprime et je pense à la guerre. Bref je suis bizarre.
Toute à mes cogitations, j’étais en train de me dire que pour l’instant, dans la plupart de nos posts, nous nous sommes intéressées aux personnalités « extraordinaires » de la Première Guerre : lesbiennes téméraires, chiens valeureux et espions flamboyants. Mais la Première Guerre, c’est avant tout des millions de gens lambda qui sont morts au front. Evidemment, il est impossible de rendre hommage à tout le monde mais je me suis dit que ce serait bien pour une fois d’essayer de célébrer un anonyme parmi les anonymes. Comme je n’ai pas énormément d’imagination, je vais faire comme tout le monde et parler d’un de mes ancêtres.
Et comme ce post s’annonce un peu trop guilleret, on a sélectionné quelques photos de sites et de cimetières militaires. Enjoy !
Si vous ne le connaissez pas encore, il existe un outil génial si vous voulez savoir comment sont morts les soldats pendant la Première Guerre. Il s’agit du site Mémoire des hommes du ministère de la Défense qui a répertorié tous ceux qui ont péri sur le front. Il suffit d’aller dans « Parcours individuel » et de taper le nom d’un soldat. Vous aurez sa fiche matricule avec sa date de naissance, son affectation, ses date et cause de mort. Incroyable non ? Bien sûr, si vous le faites, vous aurez envie de chercher vos ancêtres. Mais allez-vous me dire, je n’ai pas de grand-oncle un peu farfelu et féru de généalogie qui passe sa vie à traquer les employés de l’état-civil de Triffouillis-les-Oies. Dans ce cas-là, comment connaître le nom de mes trisaïeux ? Ne t’inquiète pas mon petit, ce n’est pas grave. Si toi aussi tu viens d’une contrée bien paumée où les gens ont des progénitures aussi nombreuses que grégaires, suis bien ce qui va suivre.
Tout d’abord, il faut savoir que je viens de Bretagne mais pas la Bretagne des petits ports de pêche pittoresques, des huîtres et des vieux riches et bronzés. Non, je suis de de l’intérieur des terres où il ne se passe pas grand-chose et où les gens qui y naissent ont tendance à rester sur place. J’ai tapé le nom de famille de mon grand-père maternel, Le Dévéhat, ce qui veut dire le mec en retard – non personne ne rigole. J’ai laissé mouliner la machine et j’ai vu apparaître six noms. Trois des soldats sont nés juste à côté de Baud, le village d’où est originaire mon grand-père. On peut raisonnablement penser que je partage avec ces valeureux combattants le même farouche sang breton.
Le premier nom est Jacques Le Devehat. Né à Guénin dans le Morbihan le 25 avril 1879, il est tué à l’ennemi à Berny-en-Santerre dans la Somme le 4 septembre 1916. Il s’agit d’un brave 2ème classe (ça ne m’étonne pas trop, nous ne sommes pas du genre galonné dans la famille) appartenant au 328ème régiment d’infanterie.
Bon, c’est un peu laconique tout ça, mais là où ça devient vraiment super sur le site Mémoires des hommes c’est que, quand vous allez dans la rubrique 1ère Guerre mondiale, vous avez un lien qui vous envoie sur les journaux numérisés des unités engagées dans le conflit. Donc j’ai retrouvé la page qui raconte la journée du 4 septembre 1916 du 328ème régiment d’Infanterie. En hommage à Jacques Le Dévéhat et à tous les soldats de ce régiment morts ce jour-là, je vous la retranscris ici :
Journal de marche : 328ème régiment d’Infanterie 4 septembre 1916 : matinée calme aucun évènement à signaler. Le colonel reçoit l’ordre ferme d’attaque pour 14h. A 13 h, attaque de l’artillerie allemande. Très éprouvée, la 14ème compagnie en première ligne doit se faire remplacer. A 14h, l’attaque se déclenche sur tous les fronts. Les 13ème et 14ème compagnies quittent superbement la parallèle de départ en liaison avec les éléments voisins et gagnent presque d’un bond la tranchée allemande dite du Regret. L’attaque se passe telle qu’elle était prévue. Les compagnies signalent leur présence aux avions par des feux de Bengale pour signaler à l’artillerie de reprendre la progression en avant et le mouvement en continu jusqu’à la tranchée suivante dite des Hures. En arrivant sur cette tranchée, la droite de la vague d’assaut formée par la 13ème compagnie est accueillie par des feux de mitrailleuses qui occasionnent pas mal de pertes mais la 13ème compagnie n’en occupe pas moins la tranchée des Hures. Vers la gauche la progression est plus facile et les sections Degaines et Brugges de la 13ème compagnie ainsi que la 14ème compagnie en entier et le peloton de renfort de la 21ème compagnie peuvent dépasser la tranchée des Hures et gagner la tranchée dite du Type à 200 mètre encore plus bas au sud.
Le mouvement s’arrête et la 15ème compagnie vient renforcer la première ligne qui s’installe immédiatement. Les Allemands ne réagissent pas par leur artillerie. Simplement des mitrailleurs tirent violemment sur la droite de la 13ème compagnie mais le front s’est plutôt élargi, la liaison à droite avec le 147ème n’est pas tout à fait instituée et le capitaine Hacquet doit détacher quelques tirailleurs pour protéger son front et assurer la liaison avec le 147ème. La liaison à gauche avec le 272ème s’est maintenue mais entre la tranchée des Hures et celle du Type, il existe un trou de 250 à 300 mètres.
Les pertes au cours de cet assaut ont été assez sérieuses. Le commandant Calmont est porté disparu probablement tué par un gros obus ainsi que l’officier d’artillerie observateur qui l’accompagnait. On ne peut retrouver sa trace. Le lieutenant Duc commandant de la 14ème compagnie est blessé ainsi que le lieutenant Deguines. Pendant la progression du 4ème bataillon, le 6ème bataillon envoya de son côté des éléments en avant pour couper l’objectif intermédiaire : la tranchée du Regret. Il s’y établit avec sa compagnie de mitrailleuses.
Vers 16 h le colonel vient reconnaitre les nouvelles positions, il prescrit à la 23ème compagnie de renforcer la première ligne dont le capitaine des Garniers prend le commandement. A la tombée de la nuit, la compagnie de Férie est mise à sa disposition et il la dirige vers la tranchée des Hures avec la mission de faire une nouvelle tranchée pour raccorder la tranchée des Hures avec la partie occupée par nous dans la tranchée du Type. Mais ses ordres sont mal exécutés et c’est à peine si quelques coups de pioche sont portés dans le boyau d’Hedevaux. Vers la tombée de la nuit les Allemands commencent à régler leur artillerie sur notre nouvelle position.
En résumé, notre action s’est fort bien déroulée et a enlevé l’objectif qui a été assigné au régiment et l’a même dépassé sur une longueur de 200m vers la gauche. Nuit calme. Aucun incident à signaler.
Quelques mètres de gagnés. Une bonne journée pour l’armée française, une moins bonne journée pour les disparus du 4 septembre 1916 qui ne sont pas cités et parmi lesquels figure celui qui fut peut-être mon arrière-grand-oncle : Jacques Le Dévéhat.