
Je suis né pour témoigner.
On m’a assemblé loin d’ici, à Rochester, New-York, Etats-Unis.
De la ferraille, du verre et du cuir, le nec plus ultra alors.
On nous a envoyés conquérir le monde, moi et mes semblables.
On était jolis, petits, pas trop chers et pas trop compliqués.
Les gens nous adoraient. Plus aucun moment important de leur vie ne se déroulerait sans nous.
On m’a acheté.
J’étais destiné à entrer dans une poche et à y rester, contre les flancs de mon propriétaire, contre son cœur, à portée de main et jamais loin des yeux.
On n’a pas vraiment eu le temps de faire connaissance.
J’ai senti le tissu rugueux, lourd, des poches d’uniformes.
J’ai senti le froid continuel à travers mon étui de cuir.
L’humidité de la tranchée a bien failli avoir raison de mes rouages.
J’ai senti la boue et la pluie, la nuit, les cris.
J’ai entendu le métal tomber, le même métal dont je suis fait.
Puis un jour j’ai senti le poids du corps qui s’abat.
J’ai senti la terre gorgée de sang entrer dans mon objectif.
J’ai dormi longtemps, paupières d’aluminium fermées.
J’ai erré de grenier en grenier.
Et je suis revenu sur ces terres.
J’ai cherché sur les monuments et les tombes le nom de celui qui m’avait acheté et les noms de ses copains qu’il écrivait au stylet dans ma lucarne Autographic.
Mais je n’ai rien trouvé.
J’ai cherché les lieux mais je n’ai rien reconnu.
La lumière m’a ébloui.
Tout est calme maintenant.
Mais les fantômes sont là.