Ella Maillart, voyager double

 

            Aujourd’hui on vous emmène sur les traces de la grande voyageuse Ella Maillart. Aucun lien avec la Grande Guerre, même si, née en 1903, elle a grandi dans une Europe en flammes, elle-même protégée derrière les montagnes suisses. De cette guerre elle ne fait qu’une mention fugace en disant que c’est cet événement qui l’a envoyée en mer. Pour fuir, certainement, l’angoisse du continent.

            Je l’ai découverte au hasard des rayons d’une librairie, grâce à la jolie réédition dont elle fait l’objet dans la Petite Biblio Payot Voyageurs. Ça a été une vraie rencontre, un coup de cœur et elle est devenue une grande source d’inspiration pour nous – on espère qu’elle le sera pour vous aussi !

            Il faut dire qu’un titre comme : La Voie cruelle, Deux femmes, une Ford vers l’Afghanistan ne pouvait que nous interpeller ! Maillart a la spécificité d’avoir fait quelques voyages doubles, avec d’autres illustres voyageuses ou voyageurs de l’époque qui chacun tiennent un récit aussi. C’est le cas de La Voie cruelle, où elle partage le volant et la route de l’Asie centrale avec Annemarie Schwarzenbach, qui raconte sa propre version du voyage dans Où est la terre des promesses ?

            C’est aussi le cas de cette traversée à pied, à cheval, en camion, à dos d’âne de la Chine vers l’Inde en 1935 en compagnie de Peter Fleming. Le nom vous dit quelque chose ? C’était le frère de Ian Fleming, le créateur de James Bond – on dit d’ailleurs que Peter aurait été un des modèles de 007. Chacun couvre leur voyage pour différents journaux en Europe, elle en fera Oasis interdites et lui Courrier de Tartarie.

            Indépendante mais aimant la compagnie, ancienne sportive de haut niveau, Maillart me plait surtout par la simplicité de son approche du voyage. Voyager comme femme est un non-sujet pour elle, tout comme l’absence de confort ou la prouesse physique. Certes son style est peut-être moins torturé et poétique que Schwarzenbach ou moins fluide et ironique que Fleming, et elle admettait d’ailleurs ses difficultés à écrire. Mais on sent une force de caractère incroyable et surtout un bonheur de chaque instant d’être là où elle est.

            Son livre que je préfère est incontestablement Ti-Puss, Trois ans en Inde avec ma chatte. Encore un voyage double, bien que la version de Ti-Puss soit sans doute perdue à jamais! C’est un livre de quête, comme beaucoup de voyages en Inde. A la fin de son périple avec Schwarzenbach en 1939, Maillart décide de rester en Asie et tente de persuader son amie de ne pas rentrer en Europe où la guerre vient d’être déclarée. Mais Schwarzenbach veut y être, partager l’épreuve avec ses proches. Maillart, elle, entame une quête spirituelle dans tout le sud de l’Inde et trimbale avec elle ce petit chat qu’elle adopte au cours de l’une de ses étapes. Et tandis qu’elle cherche au fond d’elle-même à atteindre le renoncement suprême, son attachement croissant à Ti-Puss vient contredire chacune de ses leçons en lui rappelant son humble condition d’être tendre.

            Comme vous savez, on aime voyager avec notre grosse bestiole, la Ruby. Mais on a aussi un vieux chat qui s’appelle Madeleine et qu’on a tenté d’emmener en voyage avec nous quelquefois : Madeleine au camping, Madeleine en van, Madeleine en voiture. Et bien, chère Ella Maillart, c’était une très mauvaise idée. Madeleine déteste voyager et nous l’a fait sentir en permanence. Alors maintenant elle garde la maison quand on part en vadrouille. Mais je suis sûre que de temps à autre, elle feuillette Ti-Puss et sourit en lisant vos aventures.

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