Chérir la paix

 

            L’automne arrive, la saison du van se termine et même si on pense au prochain roadtrip, le moment est propice pour un premier bilan de notre projet – entre commémorations de l’Armistice du 11 novembre 1918 et triste premier anniversaire du 13 novembre 2015.

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        Et quelque part, c’est au lendemain des attentats que ce projet trouve ses origines. Je revois l’allocution de Hollande : « La France est en guerre », assène-t-il sur fond d’images d’avions qui décollent pour aller frapper Daesch en Syrie. Cette phrase, amplifiée par les politiciens en campagne, amplifiée par une actualité terrible (après Nice, notamment). Cette phrase nous a menées sur la route. La France est en guerre. Vraiment ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? La France était en guerre il y a cent ans et c’est cela que nous avons voulu sentir. Pour tenter de savoir s’il y avait quelque chose de commun entre alors et maintenant. Et malgré les tensions sociales que l’on connait, malgré les inégalités de territoire que nous avons palpées, il nous a semblé voir un pays en paix.

            Mais le problème de la paix, c’est qu’elle passe inaperçue. Elle est pour nous acquise, normale, et l’était déjà pour nos parents, alors que des hommes et des femmes l’ont construite, c’est un vrai travail. Ils ont rarement des monuments à leurs effigies, leur métier passe pour obscur et ne manque pas d’ambiguïtés, pourtant ils sont nécessaires. Justement une exposition au Petit Palais cet automne nous parle de cet « Art de la paix ».

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          Je trouve ça fascinant (du moins pour une historiogeek) de voir tous ces traités sortis des archives du ministère des Affaires étrangères : tout le pouvoir contenu entre ces lignes, le pouvoir sur la terre et les peuples, qui semble soudain fragile comme le parchemin qui la soutient, arbitraire et effrayant aussi, avec les sceaux qui pendent comme des breloques. De simples bouts de papier.

          L’expo nous montre le décorum de la paix : aux boues de la guerre répondent les ors des palais ; aux uniformes les costumes impeccables, les cravates, les moustaches cirées ; aux cris des blessés les murmures des négociateurs ; au sang versé l’encre des traités ; aux rats des tranchées les colombes porteuses de laurier ; au métal du fusil le velours des maroquins. La guerre et la diplomatie, comme les deux faces d’un même monde.

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Ce bureau sur lequel la paix de 1871 fut élaborée a été ressorti pour les pourparlers de 1919.

   Dans les représentations montrées, la paix se confond souvent avec la victoire d’un camp, rarement avec l’unité et l’harmonie. L’expo nous rappelle aussi les risques d’une mauvaise paix, quand la paix, alimentée par l’envie d’humilier et de dépecer l’ennemi, se réduit à un troc bancal et devient un sursis avant la prochaine guerre. C’est le cas de la paix en 1919, qui débouchera sur une nouvelle guerre mondiale vingt ans plus tard et qui demeure de nos jours la source de conflits – les frontières de l’Irak et de la Syrie tracées en 1916 et contestées aujourd’hui par l’Etat islamique en sont un exemple.

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Télégramme diplomatique annonçant l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand en 1914

  Ce n’est jamais un travail parfait et l’amertume y est souvent mêlée. Le travail des frontières, le découpage d’états-nations à l’emporte-pièce, l’esprit de Revanche qui reste tapi dans le subconscient des états, prêt à rejaillir à la moindre compétition sportive comme on a pu le voir lors de la demi-finale de l’Euro 2016 entre France et Allemagne ; Le Monde a même mis dans les quelques bonnes nouvelles de l’année cette victoire footballistique. Le Monde, en 2016…

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Instruments de ratification français et allemand du traité de Versailles de 1919

  Voilà pourquoi cette paix, il faut la chérir et la célébrer. Pour nous, cela a consisté à rouler et à marcher sur les plaies d’hier comme pour les conjurer. En France, la toponymie des traités revient toujours aux mêmes endroits : traité de Verdun, paix d’Amiens ou de Lunéville, c’est toujours vers le nord et l’est que ça se passe. C’est là que nous sommes allées. Mais comme les vanités qui rappellent à leurs spectateurs qu’il faut profiter du temps qui passe, les lieux mémoriaux rappellent à leurs visiteurs qu’il faut profiter du temps de paix. Ils nous disent aussi qu’on ne profite bien qu’en étant conscient.

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