Le Havre, Tétris pas triste

Fin septembre, nous avons passé un week-end au Havre, ville que nous connaissions déjà un peu, mais que nous avions envie de découvrir davantage. Le Havre fait partie de ces villes qui suscitent des cris d’horreur chez certains et des wow d’admiration chez les autres. « C’est moche », disent les premiers, « C’est génial », clament les seconds. Comme s’il fallait que les deux s’opposent.

Au Havre, nous avons déambulé dans les rues perpendiculaires du centre-ville reconstruit et nous avons respiré le grand air à la plage. Nous avons photographié un volcan sous tous les angles, longé des canaux et des bassins, contemplé des kite-surfers et des cargos. Et nous avons débattu passionnément pour savoir si Le Havre, c’est génial ou c’est moche. Pour finalement se mettre d’accord sur le fait que Le Havre, c’est un peu moche, mais c’est surtout génial.

Béton armé

Le fameux centre-ville du Havre, considéré comme le chef d’œuvre de l’architecte Auguste Perret, ne pourra que plaire aux fans de Lego ou du peintre abstrait Piet Mondrian. Nous voilà plongées dans un Tetris en 3D, avec ces barres de dimensions variables construites en béton armé.

« Que c’est gris et monotone », dis-je en regardant autour de moi. « Que c’est démocratique et égalitaire », s’exclame Hélène à son tour. En fait, nous avons eu exactement le même débat sur Varsovie. Il y a un moment où l’égalitarisme et l’uniformité sont très proches, et le projet de Perret pour le centre-ville du Havre se situe vraiment sur cette ligne très fine.  

C’est après la Seconde Guerre mondiale qu’il a fallu remettre sur pied une ville détruite. Avec son expérience de la construction en béton armé, rapide et peu coûteuse, l’atelier Perret obtient le marché et se lance dans une reconstruction qui sera achevée dans les années 1960. Une ville de béton sort de terre, avec un monument emblématique : l’église Saint-Joseph.

Saint-Joseph, c’est un peu la grande barre du Tetris – ou un phare en pleine ville. De l’extérieur, l’église présente la même apparence terne que les bâtiments qui l’entourent. Mais les sensations changent complètement lorsqu’on entre à l’intérieur. Le regard est aspiré vers le haut, dans une contre-plongée vertigineuse. On croirait être au cœur de l’Etoile noire de Star Wars, avec ces hauts piliers de béton et les cubes de couleur qui miroitent à l’infini.

Si le nom de Perret est chevillé au destin du Havre, celui de Marguerite Huré reste méconnu. Cette maitre-verrière, amie et partenaire de Perret sur plusieurs projets, a conçu les vitraux de l’église Saint-Joseph selon un système de couleurs allant du plus sombre (en bas) vers le plus clair (en haut). La succession géométrique des carreaux ruisselle sur le béton et lui donne vie. C’est un spectacle magnifique, hypnotisant.

Lorsque nous y étions, il y avait également une belle installation de Claude Lévêque consistant en un rideau monumental de lys blancs. Quelques grammes de finesse dans un monde de (béton) brut.  

Quand on parle de Perret, personne ne pense confort et cosy. Pourtant, la visite de l’appartement témoin Perret permet de comprendre les idées de l’architecte sur les volumes intérieurs. Lumière traversante, parquet en chêne et chauffage collectif, l’ensemble est du meilleur goût et on y poserait bien ses valises, voire ses cartons. Pourtant, quand les gens ont emménagé dans les nouveaux immeubles, ils ont fait grise mine. Les ensembles modernes choquaient le goût de l’époque.

Portés par des piliers et des poutres, les appartements n’ont aucun mur porteur, ce qui a autorisé tous les aménagements possibles. La plupart des appartements ont donc été profondément modifiés par leurs habitants, mais par chance l’Office du tourisme a pu acheter l’une des rares habitations restées intactes. Il est possible de visiter l’appartement témoin lors de visites guidées, ce que nous vous recommandons chaudement !

En effet, l’aspect années 1950 de l’appartement est très bien conservé avec les meubles d’époque des designers René Gabriel dans le salon et Marcel Gascouin dans la chambre. On sent que les organisateurs se sont bien amusés à chiner tous ces petits morceaux d’une époque pour nous offrir un voyage dans le temps. On écrirait bien nos articles de blog dans ce joli bureau, par exemple.

Le nom d’Auguste Perret est indissociable du Havre, évidemment. Nous avons beaucoup appris sur cet architecte grâce à une conférence en ligne organisée par le site Explore Paris, que nous vous recommandons vivement. Cette visite virtuelle, pour laquelle nous étions invitées, nous a emmenées à Paris, Boulogne, au Raincy et bien sûr au Havre pour découvrir les bâtiments construits par le maitre du béton armé.

Nous avons toutefois un seul regret concernant le fait que les positions pour le moins ambiguës de Perret pendant la Seconde Guerre mondiale soient si fréquemment passées sous silence. Ce blog n’est pas forcément le lieu de développer cela, mais si le sujet vous intéresse, voici un article qui vous en dira un peu plus : https://www.telerama.fr/scenes/l-architecture-sous-vichy-comment-sortir-d-une-ignorance-encyclopedique,144077.php

Sous le Volcan

En fait, le génie du Havre tient à la manière dont la ville a su, d’une part, valoriser ce patrimoine plutôt monolithique, et d’autre part, jouer avec. Sur la trame grise de Perret sont venues se greffer des œuvres innovantes, colorées, avant-gardistes ou poétiques. La coexistence des deux est vraiment la marque de fabrique de la ville – et une grande réussite.

L’exemple le plus emblématique est certainement le Volcan, construit par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer et inauguré en 1982. Savez-vous que c’est au Havre qu’a été construite en 1961 la première Maison de la Culture, sous l’impulsion d’André Malraux ? Ce type de projet a ensuite essaimé dans tout le pays. A l’ouverture du Volcan, la Maison de la Culture s’installe dans les bâtiments de Niemeyer. Aujourd’hui, le Grand Volcan abrite un théâtre tandis que le Petit Volcan accueille une médiathèque.

On vous a déjà parlé du Volcan (et montré mille photos) dans cet article sur les œuvres de Niemeyer que l’on peut voir en France, donc on ne va pas en rajouter une couche. Sachez simplement qu’on a eu un vrai coup de cœur pour cet endroit, d’autant plus que la place était en travaux lorsque nous étions venues au Havre la première fois. En effet, il y a eu une importante réhabilitation au début des années 2010. Nous avons donc découvert un Volcan immaculé, très bien mis en valeur dans l’espace urbain, et diablement photogénique.

Dans la lignée du Volcan, d’autres œuvres se cachent au détour d’une rue ou s’affichent au bout d’une avenue. Le plan des rues du centre-ville est rectiligne ? Et si l’on installait une œuvre monumentale au bout de chaque perspective, comme un point cardinal ? Au bout de la rue de Paris, deux arcs de containers colorés se croisent, empilés comme des Lego. C’est la « Catène de containers » de Vincent Ganivet.

Au bout de l’autre grand axe de la ville, l’avenue Foch, c’est un portique de béton blanc qui ouvre vers la mer, comme une porte monumentale vers des mondes infinis. Cette œuvre, conçue par les artistes Lang et Baumann, porte le nom énigmatique d’UP#3.   

Au fil du temps, ces bâtiments et installations sont devenues aussi emblématiques du Havre que l’église Saint-Joseph. Et chaque année, la manifestation « Un été au Havre » propose un rendez-vous avec l’art contemporain. Certaines œuvres deviennent pérennes et enrichissent ainsi le paysage artistique de la ville.

Que faire au Havre s’il pleut ?

Bien sûr, les Normands – comme les Bretons – vous diront qu’il ne pleut jamais chez eux. Loin de nous l’idée de les contredire ! Voici toutefois quelques idées au cas où une légère bruine agrémenterait votre visite.

Musée Malraux

Nous l’avions visité lors de notre précédent passage au Havre, et c’est un endroit vraiment chouette : un cube de lumière ouvert sur la mer, avec des espaces d’exposition en passerelles et en mezzanines. Du coup, même si on est à l’intérieur, on a presque l’impression d’être dehors. D’autant plus qu’une grande partie de la collection est dédiée à la peinture impressionniste, avec beaucoup de scènes d’extérieur. Le musée accueille aussi des expositions temporaires. C’est un lieu à ne pas manquer, et l’occasion d’une balade couverte très agréable !

Le Muséum d’histoire naturelle

J’y ai fait un tour pour voir une exposition sur « L’Aventure Charcot, du Havre à l’Antarctique ». Je trouve fascinants les récits des explorations polaires et une telle exposition est une bonne manière de voyager loin à moindres frais ! C’était vraiment intéressant et je suis presque restée sur ma faim, surtout au niveau photographique, car les photos de ces expéditions sont magnifiques.

Le reste du Muséum était occupé par des installations reconstituant des expéditions actuelles, ça m’a moins intéressée, mais les enfants avaient l’air de trouver ça génial. Une visite que l’on recommande donc plutôt aux familles.

Prendre un brunch en Australie

Après l’Antarctique, pourquoi ne pas faire escale en Australie ?  Sur le quai de Southampton, face aux bateaux, faites une pause à The Architect, café, bar et resto qui mélange les influences australiennes et françaises. La déco est très chouette, l’accueil sympa et le brunch nous a sauvé un dimanche matin qui s’annonçait plutôt tristoune sous la pluie.

On le recommande aussi parce qu’un détail nous a particulièrement plu : le staff a instauré un code pour les personnes ayant besoin d’aide (les détails sont affichés dans les toilettes). Si par exemple vous buvez un verre tranquillou et qu’on vient vous embêter, vous pouvez dire le code au bar et le staff vous aidera. Une initiative qu’on trouve très positive et qui intéressera peut-être les voyageuses solo, par exemple.   

La mer…

La magie du Havre, c’est que toute cette géométrie vient s’échouer sur une plage. On laisse les angles droits derrière soi, on roule sur les galets irréguliers et on se perd en contemplant les vagues de la Manche. A ce jeu, artères perpendiculaires contre rouleaux imprévisibles, la mer gagne toujours. Les kite-surfers dansent au gré du vent sur l’écume tandis que les porte-containers emportent des cargaisons de briques colorées vers des horizons inconnus.  

Nous avons un faible pour les villes portuaires, comme Dunkerque ou Rotterdam. A Rotterdam, nous avions fait un tour en bateau pour visiter la zone portuaire et il est possible le faire aussi au Havre. Nous n’avons pas eu le temps cette fois-là, c’est dommage.

Mais même en se baladant le long des bassins, on sent une activité battre tout près, une ville dans la ville qui ne s’arrête jamais. Le port a son propre rythme, ses va-et-vient, il suit les mouvements pendulaires des grues et des containers. Cela donne une ambiance très particulière, une ouverture vers le monde qui est particulièrement bienvenue dans cette période où nos possibilités d’aller loin sont si limitées. Au moins, l’imagination voyage dans le sillage des cargos.

A la plage, j’ai fait la sieste avec Vita pendant qu’Hélène visitait l’appartement témoin Perret. Et oui, quand on emmène son petit chien en week-end, on doit se séparer de temps en temps pour faire les visites. Dès que je me suis assise sur les galets, Vita s’est lovée sous mon bras pour se protéger du vent, j’ai enlevé mon masque (c’était permis) et on a emmagasiné tout le soleil qu’on a pu. Après, Vita a joué avec un copain près de l’eau et couru après des mousses d’écume emportées par le vent. On aurait pu rester là des heures.

Et vous, connaissez-vous le Havre ? Etes-vous plutôt team « C’est génial » ou team « C’est moche » ? Donnez-nous votre avis dans les commentaires !


12 réflexions sur “Le Havre, Tétris pas triste

  1. J’ai connu le Havre étant petite. C’était la ville de naissance de ma maman et certaines personnes de la famille y vivaient. Dans mon souvenir, le Havre, c’est aussi le paquebot France qui y était à quai durant pas mal de temps! Nous sommes allés le voir plusieurs fois. Mais je parle d’un temps… bien lointain.
    Maintenant, j’aimerais y retourner pour découvrir justement cette renaissance du Havre, mais je sais et vos photos me confirment que Namoureux n’aimerait pas du tout !! 🙂 Alors, il faut que je me programme ça toute seule et un jour de beau temps, car j’ai peur de ressentir de la morosité entre le ciel gris et le béton.
    Bises à toutes les deux.

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    1. Peut être que Jeff et Jagger peuvent t’attendre à la plage pendant que tu visites ? Ça peut se faire sur une journée pendant un week-end en Normandie aussi. J’espère en tout cas que tu auras l’occasion d’y retourner ! Merci pour ton commentaire 😘

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  2. J’ai hâte d’y aller, surtout j’avoue pour le Volcan mais j’aimerai bien visiter l’intérieur de St-Joseph et débusquer les œuvres d’art contemporain bien colorées ! Les immeubles bien rectilignes du centre, honnêtement je trouve ça moche pour mes yeux, mais après quand c’est moche, j’aime bien me lancer le challenge en archi de rendre ça un peu plus joli ! 😀

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    1. Si tu aimes les défis, tu aimeras Le Havre ! C’est une ville qui mérite vraiment qu’on lui donne une chance. Il y a aussi un quartier en reconversion vers les anciens docks, avec une piscine construite par Jean Nouvel. On n’a pas eu le temps de s’y balader, mais ça a l’air chouette aussi. Bref il y a largement de quoi faire !

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  3. J’adore le Havre ! J’aime le port dans la ville, le marché aux poissons, le ballet des porte-conteneurs, son architecture. Mention spéciale pour la bibliothèque et l’église Saint-Joseph ! J’aime manger une merguez/frites aux Flots Bleus quand les restaurants de plage sont ouverts. J’aime caler mon postérieur dans les galets pour regarder la mer sans jamais me lasser J’aime marcher jusqu’à Sainte-Adresse pour aller prendre un verre au bar du Bout du Monde…

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