City trip à Roubaix

Fin juillet, nous sommes allées passer un week-end à Roubaix. Un week-end à Roubaix, oui, et pas un week-end à Lille avec option Roubaix. En fait, nous étions alléchées par les récits des copains blogueurs, à commencer par ceux de Chacha, l’une des meilleures ambassadrices de ce coin des Hauts-de-France, mais aussi par ceux de la tribu En France Aussi qui y est passée en blogtrip en 2018… et aussi ceux des copains qui ont découvert Roubaix à l’occasion du Salon des blogueurs voyage WAT19. En quelque sorte, on arrive après tout le monde ! Et pourtant, en passant deux jours à Roubaix, je vous jure qu’on n’est pas envahi par les touristes, alors que cette ville a tout pour devenir une destination à part entière.

Vous le savez, nous aimons les endroits marqués par l’histoire, les endroits blessés qui déploient une énergie dingue à revivre. Nous avons arpenté de nombreux champs de bataille, mais au final, certains champs de bataille n’ont rien à voir avec la guerre. Des villes comme Lens ou Lodz ont été des champs d’une autre bataille, éventrées par les cycles économiques, les prospérités, les faillites et les désertions. Elles ressuscitent aujourd’hui pour notre plus grand bonheur. Roubaix se situe incontestablement dans cette catégorie et c’est pour ça que nous l’avons aimée au premier regard. Oui, on peut parler de coup de foudre. Le genre de rencontre qui ne vous laisse pas indifférent. Et en prenant le temps de la découvrir, nous l’avons aimée encore plus

Retour sur ce city-trip made in Flandres.

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A gauche, l’ancienne usine Motte-Bossut

De sueur et de brique

Premier contact avec la ville grâce à la visite « On fil à Roubaix » organisée par l’Office du tourisme. Une excellente entrée en matière pour comprendre l’histoire de Roubaix ! Le rendez-vous est fixé avec notre guide, Nicolas, à la station Eurotéléport. Nous voilà en plein centre-ville, entre des magasins d’usine, de grandes barres d’immeubles des années 1960-1970 et un étrange château de briques que nous allons tout de suite examiner de plus près.

Ce bâtiment, qui abrite aujourd’hui les Archives nationales du monde du travail, est une ancienne usine textile Motte-Bossut. On l’appelait l’usine-monstre. On est d’accord que les usines sont en général bâties selon des principes fonctionnels, mais celle-ci se pare de tourelles et d’une entrée digne d’un château fort. Plusieurs fois au cours de la visite nous comprendrons que les grandes familles industrielles roubaisiennes aimaient construire avec un poil de mégalomanie. C’est aussi le cas de la gare de Roubaix, par exemple, avec sa grande verrière qui en jette.

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Malgré ces quelques touches de fantaisie architecturale, la ville entière respire le labeur ; elle est pensée, articulée, autour du travail. Au gré de nos promenades, nous sommes tombées sur un monument à Jean Lebas, figure politique locale qui fut Ministre du Travail, à qui l’on doit de nombreuses avancées sociales comme les congés payés (merci, mec !) et la semaine de 40 heures. Dans le cimetière, c’est carrément un mémorial aux victimes du travail qui accueille le visiteur. Sur plusieurs tombes, nous retrouvons cette même épitaphe : « Après le travail, le repos » (une vision très pragmatique de la vie). Sur la riche façade de l’Hôtel de ville, des bas-reliefs racontent les étapes de la production textile. Le symbole de la ville est un bélier : opiniâtre et plein de laine. Ici, on ne rigole pas avec le travail.

D’une certaine façon, Roubaix a été pensée par des monomaniaques. D’autres villes prospères ont bâti des opéras, des théâtres, des cinémas. A Roubaix, on construit des usines, des logements pour les ouvriers et les employés, d’autres usines, d’autres logements pour les ouvriers et les employés. On pense travail, on vit travail. On respire travail aussi, littéralement, car l’air est saturé de la poussière issue des usines. Un petit chiffre comme ça : dans « la ville aux mille cheminées », on consomme 200 wagons de charbon par jour en 1910. Bonjour l’empreinte carbone (et l’état des poumons des habitants).

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Les familles régnantes s’installent rapidement à l’écart, vers le parc Barbieux, que nous n’avons pas eu le temps de voir cette fois-ci. Ces mêmes monomaniaques, qui ont misé exclusivement sur le textile, n’ont pas voulu diversifier au 20è siècle une industrie qui déclinait. Ils ont notamment refusé l’implantation d’une usine automobile par peur de la concurrence pour la main d’œuvre. Comme souvent lorsqu’il s’agit d’économie ou de politique, ce sont rarement les personnes qui prennent les mauvaises décisions qui en pâtissent directement. Alors, vous pouvez imaginer ce qu’il advient d’une ville monomaniaque dont la monomanie s’éteint.

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Il reste bien sûr quelques vestiges de cette époque flamboyante. La Redoute, entreprise créée en 1837 à Roubaix, y a toujours son siège, tout comme Damart et Okaïdi. La ville accueille également dans un beau bâtiment historique l’ENSAIT, école qui forme des ingénieurs textiles depuis 1889. Le Centre européen des textiles innovants, dédié aux nouvelles applications textiles, a pris place pour sa part dans un bâtiment futuriste.

Quelle histoire passionnante et unique ! La visite guidée se termine à l’Office du tourisme, où nous craquons pour des tee-shirts et des affiches trop cool (avec de la brique dessus – #passionbrique).

De là, nous sommes à deux pas de la Piscine. Un petit plongeon ?

Une star locale : La Piscine

C’est l’étendard de la renaissance roubaisienne : le musée La Piscine, musée d’art et d’industrie André Diligent de son nom complet, véritable chef d’œuvre de réhabilitation architecturale.

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Prenez une piscine municipale Art Déco construite en 1932, à une époque où l’on commence à penser à la santé des travailleurs. Je rectifie : ce n’est pas « une » piscine Art Déco, c’est « la » piscine la plus stylée de France. Ajoutez une collection originale qui mélange beaux-arts et arts appliqués. Sculpture, céramique, création textile et peinture se répondent avec harmonie. On croise des pointures internationales (Claudel, Carpeaux, Giacometti pour ne citer qu’eux) et des figures locales du Groupe de Roubaix, dans un parcours d’une grande fluidité. Rénovez-moi tout ça et hop : success story au rendez-vous.

Il suffit d’entrer dans la salle du Bassin pour être subjugué par la lumière des rosaces géométriques qui se reflète dans l’eau et baigne les œuvres de ses tons orangés. Effet wow garanti. Les matières se répondent : le bois du parquet, les verrières, le métal, la faïence. Les silhouettes des visiteurs se figent face aux statues dans cette ambiance hors du temps… c’est magique.

Ensuite, on monte dans les galeries carrelées et on passe d’un vestiaire à une cabine de douche pour admirer les collections. Le musée, qui a été récemment agrandi, propose aussi une salle sur l’histoire locale, une tissuthèque ou un jardin botanique textile. Et n’oubliez pas de faire un coucou au mouton naturalisé du Peignage Amédée-Prouvost, qui incarne si bien l’histoire lainière de Roubaix.

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En bref, on a vraiment adoré notre visite à la Piscine. C’est un musée comme vous n’en verrez nulle part ailleurs.

Si après (ou avant ou pendant) votre visite, vous avez un petit creux, le restaurant-salon de thé Méert vous accueillera pour une pause. Oui, le Méert avec les super bonnes gaufres ! (Quand on vous dit qu’il n’y a plus besoin d’aller à Lille !)

Une petite info utile : si vous venez le week-end, faites attention aux horaires, car c’est fermé le matin (13h-18h samedi et dimanche).

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Juste à côté du musée, on a trouvé un endroit très sympa : le Vestiaire (27 rue de l’Espérance). C’est un espace où travaillent des artisans qui vendent leur production sur place. Il y a plein de jolies choses à ramener comme souvenirs ou comme cadeaux. On a mangé au café la Bulle, au même endroit, qui propose de grandes assiettes avec des légumes dedans (sans cliché aucun évidemment, mais c’est pas si fréquent non plus dans la cuisine locale, les légumes !), des jus bio, des bières artisanales etc…

La Manufacture

Aussi unique et aussi intéressante que la Piscine, la Manufacture est installée dans une ancienne usine qui fabriquait des tissus d’ameublement. Les locaux aux toits en shed (vous savez, ces toits en dents de scie typiques de l’ère industrielle) accueillent désormais le Musée de la mémoire et de la création textile.

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Nous retrouvons Nicolas, notre guide de la veille, pour une immersion dans l’univers de la fabrication textile à travers les âges. La Manufacture regroupe une grande collection de métiers à tisser. Quand on n’y connait rien, comme nous, on trouve ça beau et impressionnant. Des fils, des bobines, des rouages, des enchevêtrements de cartons troués, des bras de métal… De ces machines parfois grandes comme des bus naissent des tissus à motifs (le fameux jacquard). Ça a quelque chose de fascinant.

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Et puis Nicolas enclenche une clé et actionne la machine. Celle-ci s’anime, les aller-retours de la navette s’accélèrent et soudain, on ne trouve plus ça si magique : le bruit est infernal, assourdissant. Et dire qu’on n’entend qu’une seule machine ! Difficile d’imaginer le volume sonore dans les immenses usines qu’on a vues en photo. Il fut une époque où la ville entière se faisait l’écho de ces tac-tac-tac incessants, qui se rajoutaient à la poussière et aux odeurs ambiantes. Tenez, écoutez :

En plus de la collection de métiers à tisser, vous pourrez également voir à la Manufacture des expositions d’art contemporain en lien avec le textile, ainsi qu’une exposition permanente sur l’histoire de la ville (très bien faite) et des témoignages vidéo de personnes qui ont travaillé dans l’industrie textile.

On a beaucoup aimé cette visite et on vous la recommande chaudement. Si l’histoire des techniques n’est pas notre passion a priori, ça a vraiment du sens de visiter un endroit comme ça à Roubaix.

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Roubaix, une atmosphère

L’idée de passer un week-end à Roubaix, c’était aussi pour se balader en prenant le temps et palper l’ambiance de la ville. Comme partout dans les Hauts-de-France, la gentillesse des habitants nous a encore épatées. Anecdote type : nous regardons le plan du quartier en sortant du métro quand une dame s’approche de nous. Réflexe parisien, je me dis : « Qu’est-ce qu’elle me veut ? » Et bien la dame veut juste nous aider à arriver à bon port. Merci, madame.

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Ou bien lorsque nous entrons dans la gare pour prendre des photos, quelques mecs nous regardent, gentiment incrédules (des touristes à Roubaix un samedi soir ?). Et puis ils lèvent le nez vers la verrière et disent : « C’est vrai qu’elle est belle, notre gare. » Oh, et ce boulanger à qui nous achetons des sandwichs thon-piment le dimanche à 15 heures, et qui nous suggère gentiment de changer de trottoir en poursuivant la balade, car les esprits s’échauffent un peu au bar à côté… (En attendant, le sandwich thon-piment à 2 euros est absolument imbattable).

En nous promenant dans le centre de Roubaix, nous avons été aussi surprises par la beauté des façades que par le nombre de fenêtres condamnées. Impossible d’ignorer que celle qui fut autrefois la dixième ville française par la population, recensant 125 000 habitants en 1900, compte aujourd’hui 4 000 logements vacants. Les pouvoirs publics se mobilisent pourtant depuis longtemps pour rénover et réhabiliter une ville dont l’image reste à redorer. Ils ont par exemple lancé une opération « Maison à un euro » inspirée par des initiatives similaires à Detroit et Liverpool.

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Comme de nombreuses villes en reconversion (coucou Pantin à côté de chez nous), Roubaix se rêve en Brooklyn. Elle offre ses murs aux plus grands street-artists et mise sur une vie culturelle alternative qui a l’air riche et animée. Je vois plutôt du Berlin dans ce mélange architectural, cette population mixte et ces usines délaissées (qui feraient de superbes nightclubs). Oui, on se croirait à Friedrichshain, l’un des anciens quartiers de Berlin-est, qui est devenu l’un des plus cools (et mon préféré) !

Une rencontre nous a particulièrement touchées. On se baladait entre le cimetière et la Manufacture, tous appareils photos au vent, dans un quartier de maisons ouvrières et de courées. Trois retraités prennent le soleil sur des pliants devant chez eux, rue Lafayette. « C’est plutôt rue La Faillite ici », nous lance l’un d’eux, goguenard. On commence à discuter de tout et de rien, de la vie, des galères, d’où on vient et, bien sûr, de la région. Une dame tricote une couverture, avec à ses pieds une généreuse assiette de pâtée pour les chats du quartier. Le monsieur pense nous avoir vues à la télé, quand on lui dit qu’on a un blog et qu’on voyage en van. On lui répond que ce n’était pas nous, pas encore ! Il n’en démord pas. La dame qui tricote a un tatouage de fleur un peu passé sur le bras. Je lui demande si je peux le prendre en photo. Nous qui avons un mal fou à photographier des inconnus, nous voilà embarquées pour une séance d’instantanés en toute joyeuseté. A nouveau, la gentillesse des habitants nous frappe, mais aussi leur envie de se raconter et leur facilité à communiquer.

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Finalement, un week-end à Roubaix, ce n’était pas assez. Nous n’avons vu ni la villa Cavrois, ni le parc Barbieux, ni la Condition publique. Tant mieux. Nous reviendrons nous perdre dans ce véritable terrain d’exploration, cette ville au potentiel narratif énorme. Loin d’être une ville périphérique, Roubaix est un univers en soi. Un diamant brut.

Un grand merci à Constance, de l’Office du tourisme de Roubaix, grâce à qui nous avons été invitées à la Piscine, à la Manufacture et à la visite « On fil à Roubaix » !


22 réflexions sur “City trip à Roubaix

  1. ❤ puissance 1 000 000
    Ce billet est magnifique les filles, votre regard sur Roubaix est touchant, vous avez trouvé son âme.

    Merci pour la mention, je ne voulais pas commencer par çà car votre billet m'a ému et c'est çà le plus important

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  2. Quel beau récit sur cette ville que je pensais connaitre, mais non. En réalité à part aller voir un copain ou deux et vite retourner à Lille ou foncer direction la Belgique je n’ai pour ainsi dire pas eu l’occasion de vraiment faire sa connaissance. Comme vous le dites si bien elle est un univers à elle toute seule. Merci les filles.
    La dernière photo est superbe.
    Je rebondis sur votre réponse à Chacha et la remercie (au passage) de partager avec nous cette région si attachante.

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  3. Merci pour cette visite détaillée de la ville ! J’y suis passée en décembre dernier, principalement pour voir la Piscine que j’ai trouvé sublimissime. J’avais repéré quelques belles façades également et la gare qui en jette, surtout quand on voit les alentours et la taille de la ville. 🙂

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  4. J’ai découvert la ville à l’occasion d’un week-end à Lille (où je n’étais encore jamais venue) avec « option Roubaix » comme vous dites, et j’ai le même enthousiasme que vous. L’image d’une ville sinistrée balayée par la mignonnerie de ses façades de briques (moi aussi j’aime les briques), par ses belles fresques street art (même si Chacha m’a houspillée parce que j’en avais raté plein), par son ambiance multiculturelle, par son hôtel de ville si élégant et par son sublime musée de la Piscine. Dommage d’être si pénalisé quand on visite la ville le week-end, ce qui ne nous a pas permis de visiter la Manufacture et la Piscine en l’espace d’une après-midi ! Il va falloir revenir.

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    1. Je suis bien contente de voir que Roubaix compte de nombreux fans! Cette ville a juste trop d’atouts, si on ne reste pas sur ses préjugés. Je suis d’accord avec toi sur les horaires du we, j’espère que la Piscine ouvrira aussi le matin un de ces jours. Merci pour ton passage !

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  5. Non, vous n’y êtes pas après tout le monde, puisque je n’y suis jamais allée.
    Lors d’un blogtrip à Douai, on m’avait proposé 1/2 journée à Roubaix. Autant dire que j’ai refusé directement car je suis convaincue que juste la manufacture vaut bien une 1/2 journée (surtout avec ma fille, on veut tout voir, tout comprendre et prendre le goûter). De toute façon j’aime prendre mon temps et quand je vois tout ce que vous avez vu et qu’il reste à voir, je me dis que ce sera bel et bien pour une autre fois.
    (et vous nous aviez caché faire de la télé 😉 )

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  6. Un superbe article, très émouvant… Je découvre l’histoire de cette ville, je trouve que tu as su capter des lignes, des architectures et des ambiances particulières qui donnent de la force aux différents lieux. On sent en effet que tout avait l’air de s’articuler autour du travail, laissant du coup des bâtiments et usines qui pourraient être totalement détournés de leur fonction d’origine et devenir des lieux de vie trop trop classes et branchés ! Je suis sûre que roubaix aura en effet dans le futur une 4ème ou 5ème vie, je trouve que l’image de certains quartiers de Berlin est très bien trouvée ! Il pourrait y avoir des nightclubs, des squats d’artistes, des boutiques etc. J’adooooore cet article !

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